Aerial view of Hattusa (Bogazkoy)

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Sharruma holding King Tudhaliya IV (relief from Yazilikaya)

Introduction à l'histoire et l'archéologie de l'Anatolie du IIe millénaire avant notre ère

Par Renaud Arpin, Philippe Clancier, Yannis Deliyannis, Metin Köse
Table des matières

I - Archéologie de l'Anatolie au début du IIe millénaire

II - Les colonies assyriennes en Cappadoce

III - L'Ancien Royaume hittite

IV - L'Empire hittite

V - La période néo-hittite (ca. 1000-700 av. J.C.)

I - ARCHÉOLOGIE DE L'ANATOLIE AU DÉBUT DU IIe MILLÉNAIRE
Chronologie

Les divisions chronologiques établis par les archéologues sont loin de correspondre aux divisions événementielles des historiens (Période des Colonies assyriennes, Ancien Royaume, Nouvel Empire), ce qui en fait n'est pas du tout surprenant étant donné que les variations dans la culture matérielle ne reflètent pas forcément les fluctuations historiques.

L'archéologue Machteld Mellink a mis en place une division chronologique destinée à être une contrepartie de la chronologie égéenne. D'après cette division l'âge du Bronze anatolien se découperait en trois grandes périodes, respectivement nommées Anatolien Ancien, Anatolien Moyen et Anatolien Récent, et elles-mêmes divisées en plusieurs phases.

Le début du IIe millénaire coïnciderait avec le début de la première phase de l'Anatolien Moyen (AM I), tandis que l'époque dite "des Colonies assyriennes", dont le début est fixé aux alentours de 1900 av. J-C, correspondrait quant à elle à la totalité de l'AM II et la plus grande partie de l'AM III.

L'Ancien Royaume hittite pour sa part correspondrait au début de l'Anatolien Récent. Le Nouvel Empire comprend par contre la plus grande partie de l'Anatolien Récent, et les deux se terminent ensemble.

Origine des Hittites

Il est généralement admis que les Hittites, peuple de langue indo-européenne, se sont surimposés en Anatolie centrale à une population indigène, les Hattis, à qui ils ont empruntés nombre de dieux, rites, et éléments linguistiques.

Il convient cependant de noter que l'antériorité des peuples Hattis sur les Hittites, supposition basée presque entièrement sur la philologie, a ponctuellement été remise en question par certains chercheurs et notamment par l'archéologue Colin Renfrew qui pense que les ancêtres des Hittites du deuxième millénaire étaient présents en Anatolie dès la période néolithique et que les Hattis sont arrivés plus tard. Cette hypothèse est cependant très controversée et très peu acceptée dans le milieu scientifique.

En ce qui concerne le point d'entrée des ancêtres des Hittites en Anatolie, là encore plusieurs hypothèses s'affrontent. La plus courante aujourd'hui les fait venir des Balkans à travers le nord-ouest anatolien. Ils seraient donc entrés en Anatolie occidentale dans le courant du IIIe millénaire (Bronze Ancien), peut-être sous forme de vagues successives, et se seraient ensuite scindés en plusieurs groupes correspondant aux différents peuples de langue indo-européenne connus au IIe millénaire en Anatolie, à savoir les Louvites, les Hittites, et les Palaïtes.

Le passage du Bronze Ancien au Bronze Moyen : le début du IIe millénaire

L'arrivée des peuples indo-européens, ancêtres des Hittites, en Anatolie centrale est généralement fixée à la fin du IIIe millénaire et au début du IIe, c'est-à-dire en pleine transition de l'âge du Bronze Ancien au Bronze (ou Anatolien) Moyen.

Si l'on regarde ce qui ce passe du point de vue archéologique sur les différents sites occupés à cette période, nous remarquons que sur un certain nombre des traces de destruction par le feu sont observables. De plus, certains changements sont perceptibles dans le matériel archéologique, le plus spectaculaire d'entre eux étant le passage d'une céramique montée à la main à une céramique tournée au tour. Beaucoup de chercheurs ont donc parlé d'une véritable rupture entre le troisième et le deuxième millénaire, y voyant également la trace matérielle de l'arrivée des populations indo-européennes en Anatolie centrale.

Toutefois, loin de réfuter les changements matériels qui s'opèrent au début du IIe millénaire, il convient cependant de relativiser ce phénomène car au fur et à mesure que les fouilles se poursuivent, les archéologues se rendent compte que la rupture entre les deux millénaires n'a pas été si brutale et qu'au contraire, de nombreux éléments de continuité sont présents dans des domaines importants, comme par exemple l'architecture ou le domaine funéraire.

De même, les traces de destruction par le feu que l'on observe sur différents sites à cette époque ne sont pas forcément synonymes d'invasions de populations allochtones, mais pourraient tout aussi bien être les traces d'une période de troubles généralisés.

Toujours est-il qu'au début de l'Anatolien Moyen, il semble que l'Anatolie centrale soit divisée en un certain nombre de territoires de dimensions assez modestes contrôlés par des dynasties locales, souvent rivales.

II - LES COLONIES ASSYRIENNES EN CAPPADOCE

Au début du IIe millénaire av. J.-C., les marchands de la Cité-Etat d'Aššur, sur le Tigre, établirent d'intenses relations commerciales avec les villes d'Anatolie centrale. Ils y installèrent un vaste réseaux de comptoirs (littéralement des " quais " : kārū), dont le centre administratif était le kārum Kaneš, situé sur la colline de Kültepe, près de l'actuelle Kayseri.

Ce site a livré plusieurs milliers de tablettes cunéiformes, rédigées par les marchands assyriens. Elles permettent de reconstituer les mécanismes généraux du commerce et la vie quotidienne des marchands, et nous renseignent indirectement sur l'organisation politique de la Cappadoce à cette époque.

Du point de vue de la civilisation hittite et de la connaissance que nous en avons, l'intérêt de ces textes est double. D'une part, ils représentent les premiers documents écrits concernant l'histoire de l'Anatolie ancienne, notant des anthroponymes indo-européens et témoignant de l'existence des Hittites. D'autre part, ils marquent l'introduction de la pratique de l'écriture cunéiforme en Anatolie.

Les sources

Les premières tablettes assyriennes d'Anatolie furent exhumées par des fouilleurs clandestins et rachetées sur le marché des Antiquités par des collectionneurs privés ou par les musées. La spécificité de leur écriture fut reconnue par T. Pinches en 1881, qui qualifia ces textes de "cappadociens". Il fallut encore attendre une douzaine d'années pour que le syllabaire en fut établi par F. Delitzsch, et rattaché de façon certaine à la langue assyrienne.

Le contenu des documents, qui pouvait dès lors être compris, suggérait qu'ils avaient été écrits dans la ville de Kaneš. Mais ce n'est qu'en 1924 que B. Landsberger identifia celle-ci avec le site de Kültepe, bien que ce dernier n'ait jusqu'alors livré aucune tablette. L'année suivante, enfin, le hittitologue tchèque B. Hrozný découvrit le lieu de provenance des tablettes en fouillant la partie basse du tell, qui correspondait à l'ancien faubourg marchand, le kārum. Au cours de cette seule campagne, on recueillit près d'un millier de tablettes, et la richesse du site ne s'est pas démentie par la suite : entre 1925 et 1948 (fouilles Hrozný), on trouva environ 4500 tablettes ; depuis 1948, les fouilles turques placées sous la direction de T. Özgüç ont mis au jour 17 000 textes, qui sont conservés au Musée des Civilisations anatoliennes d'Ankara. Seul un quart de cet immense corpus a été publié à l'heure actuelle.

Quelques autres sites ont livré des " tablettes cappadociennes " : en Anatolie même, celui-ci d'Alişar Hüyük (probablement l'ancienne Ankuwa) et de Boğazköy (Hattuša) ; en Mésopotamie, ceux de Yorgantepe (Nuzi) et d'Abû Habbâ (Sippar). Mais Kültepe reste de très loin la source principale, et c'est par la documentation de Kaneš que nous connaissons l'existence de nombreux autres comptoirs commerciaux, sans qu'ils aient été précisément localisés.

Rédigées dans un but utilitaire, soit par les marchands eux-mêmes dans le cadre de leur négoce, soit à l'initiative des autorités du kārum, pour des raisons administratives ou juridiques, les tablettes de Kaneš sont des "documents de la pratique ". On peut y distinguer quatre grandes catégories de textes : la correspondance privée, les documents comptables, les contrats et reconnaissances de dette, et les actes judiciaires (constats de litiges, minutes de procès, décisions de justice, etc.).

Aucun document de nature " officielle " ne nous est parvenu mais les textes font allusion aux traités passés entre les autorités du kārum et les princes locaux. Le contenu de ces accords peut être reconstitué à partir des textes connus.

La principale période documentée par les archives des marchands de Kaneš s'étend sur environ 85 ans (ca. 1925-ca. 1840), entre les règnes d'Irišum Ier et de Narām-Šīn d'Aššur.

Une seconde période, beaucoup moins abondante en tablettes, couvre approximativement les années 1800-1740. Cette seconde phase correspond d'abord à la conquête d'Aššur par Šamšī-Addu puis à l'expansion babylonienne en Mésopotamie : pour la cité assyrienne, comme pour l'activité des marchands en Anatolie, il s'agit d'une ère de déclin.

Les textes de Kültepe ne permettent pas de savoir à quel moment ni de quelle façon se sont mises en place les relations commerciales entre Aššur et l'Anatolie. Mais on a relevé la mention du kārum Kaneš dans des textes d'Ebla (XXIVe siècle), et il existe des traditions littéraires concernant l'activité commerciale mésopotamienne en Anatolie durant l'époque d'Akkad.

L'organisation générale du commerce

Les marchands d'Aššur exportaient vers la Cappadoce de la laine, des étoffes et un métal appelé annakum, qu'on a identifié avec l'étain, ingrédient indispensable à la fabrication du bronze. Tandis que la plupart des étoffes étaient de production locale, la laine provenait du nord de la Babylonie. Les lettres de Mari (rédigées entre 1796 et 1760) montrent que l'annakum était importé depuis l'Elam, mais vu l'absence de mines d'étain dans l'ouest de l'Iran, il est très probable que ce métal provenait d'Afghanistan.

Ces produits étaient acheminés à dos d'âne, chaque bête portant une charge de 70 à 90 kg environ. Un chargement d'étain comprenait 30 mines (à peu près 65 kg) destinées à être vendues, plus 10 mines pour couvrir les frais de route, tandis que pour les textiles, la charge se composait d'une trentaine de pièces de tissus, pesant entre 75 et 80 kg. Deux à six ânes formaient habituellement une caravane, mais des chargements exceptionnels pouvaient nécessiter un convoi de quatorze ânes. Les marchandises étaient accompagnées d'une tablette scellée, indiquant le contenu des paquets et précisant leur destination.

La route suivie par les commerçants assyriens, longue de plus de 800 km, traversait d'est en ouest la Haute-Mésopotamie puis, ayant passé l'Euphrate, bifurquait vers le nord pour franchir l'Anti-Taurus et atteindre la Cappadoce. Notons que le contrôle de cette route commerciale fut un enjeu géopolitique de première importance, qui explique en grande partie la conquête d'Aššur par Šamšī-Addu ou, un peu plus tard, la tentative d'invasion de la Mésopotamie par les Élamites.

Une fois parvenus à Kaneš, ou dans un autre comptoir anatolien, les marchands vendaient leurs produits contre de l'or ou de l'argent, et réalisaient un important bénéfice brut de 75 à 100% pour l'étain et de 100% en moyenne pour la laine.

Il est frappant de constater que ce commerce était complètement déséquilibré. En effet, les Assyriens n'achetaient aucune marchandise aux autochtones pour l'importer à Aššur, et se contentaient d'y rapporter leurs sacs d'argent. Les ânes, devenus inutiles pour le voyage du retour, étaient sans doute vendus en même temps que l'étain et que les textiles.

Autre caractéristique de ce commerce : il était l'affaire de firmes familiales. Le chef de famille vivait à Aššur, où il s'occupait de rassembler les produits et les fonds nécessaires aux expéditions. Un autre membre plus jeune, souvent le fils aîné, se trouvait à Kaneš, et jouait le rôle d'intermédiaire entre Aššur et les autres comptoirs cappadociens. D'autres membres étaient domiciliés dans d'autres kārū, et les plus jeunes étaient affectés au transport des marchandises. Bien entendu, des associations entre firmes étaient possibles, soit pour trouver les capitaux nécessaires, soit pour monter des opérations de plus grande envergure.

Une telle organisation était rendue possible par la sécurité des routes et la sûreté des profits. Elle aurait été impensable, par exemple, dans le cas du commerce maritime pratiqué à la même époque dans le Golfe Persique : les marchands d'Ur, conscients des risques liés au transport, préféraient en effet des associations ponctuelles.

Bien plus que le brigandage, dont les textes parlent très peu les marchands redoutaient les multiples taxes qu'ils devaient acquitter au cours du voyage. Au départ d'Aššur, une première taxe (1/120e de la valeur du chargement) était due au fonctionnaire éponyme, le limmum. Ensuite, un péage était exigé à chaque nouveau territoire traversé. Enfin, le palais de Kaneš, effectuait un prélèvement appelé nišratum, de 5% sur les textiles et de 3% sur l'étain.

Pour échapper aux différents péages, les marchands assyriens avaient largement développé la contrebande. La fraude apparaît comme une activité normale du point de vue des commerçants : des chefs de firmes envoient à leurs fils des instructions sans ambiguïté à ce sujet, et on a même retrouvé un contrat de contrebande !

Il y avait deux moyens classiques pour frauder. On pouvait emprunter la " route étroite ", c'est-à-dire un trajet non surveillé, évitant les péages. Mais il s'agissait de chemins difficilement praticables, parfois inondés, où l'on pouvait aussi rencontrer des brigands. On pouvait donc préférer la fraude-pazzurum, qui consistait à faire entrer la marchandise dans une ville à l'insu des autorités, en dissimulant les paquets sous ses vêtements. Il fallait donc disposer de complices parmi les habitants.

En faisant intervenir des agents provocateurs, les autorités locales parvenaient parfois à démasquer les contrebandiers. Le marchand arrêté était alors jeté en prison, et ses associés devaient verser une rançon. Mais les princes anatoliens, divisés entre eux, pouvaient difficilement lutter contre les véritables réseaux mis en place par les fraudeurs.

Un système "colonial" ?

Les textes de Kültepe font apparaître les noms d'une bonne vingtaine de comptoirs, en distinguant les kārū (littéralement "quais" ou " quartiers marchands") des établissements plus modestes appelés wabartū ("agences, postes commerciaux"). Ils étaient répartis dans toute l'Anatolie centrale, depuis le delta du Kizil Irmak jusqu'à l'actuelle frontière syrienne, et du Lac Salé à la Haute-Mésopotamie. L'ampleur de ce réseau ainsi que le caractère déséquilibré du commerce, que l'on a évoqué ci-dessus, reflètent l'évidente domination économique des Assyriens sur la région. Sur le plan politique, on constate en outre que le kārum Kaneš, centre administratif de tout le réseau, avait ses propres institutions, distinctes du gouvernement local, et calquées sur celles de la cité d'Aššur.

Le kārum Kaneš - administré par le bît kârim (" maison du kārum ") - jouait le rôle d'une " capitale coloniale ", d'un intermédiaire entre la " métropole " assyrienne et les autres kārū. Nous l'avons déjà constaté à propos de la structure des firmes familiales, et cela est encore très visible dans la façon dont Aššur communiquait ses instructions en Anatolie, ou dans l'administration judiciaire.

Lorsque les autorités d'Aššur voulaient transmettre un ordre aux comptoirs anatoliens, elle dépêchait des " messagers de la ville " jusqu'à Kaneš, et le kārum Kaneš utilisait ensuite ses propres envoyés pour communiquer les instructions reçues. Un schéma similaire fonctionnait en sens inverse pour le jugement de certains procès : tout kārum ou wabartum pouvait tenir lieu de cour de justice, mais seul le kārum Kaneš servait de cour d'appel ; quand les litiges étaient trop complexes, les autorités du kārum Kaneš demandaient l'assistance de celles d'Aššur, qui pouvaient alors envoyer la copie de certains documents.

Par contre, rien n'atteste que la ville d'Aššur tirait profit des fonds collectés par lebît kârim auprès des marchands sous la forme d'impôts ou de paiements pour certains services.

En effet, il semble que ce que le bît kârim n'utilisait pas pour le financement de l'appareil administratif était réinvesti dans des opérations commerciales. Du point de vue économique, le bît kârim devait jouer plutôt le rôle d'une banque de dépôt.

Les noms des institutions et des administrateurs du kārum étaient très parallèles à ceux de la ville d'Aššur elle-même, à commencer par le bît kârim, qui faisait pendant au bît âlim (" maison de la ville "). La principale assemblée était, comme à Aššur, une assemblée des " petits " et des " grands ", qui se chargeait notamment des relations avec Aššur, avec les autres kārū ou avec les souverains locaux, et du règlement de nombreux litiges. La distinction entre " petits " et " grands " - ces derniers devant sûrement être identifiés aux " Anciens " (sîbûtum) - a suggéré à M. T. Larsen une comparaison avec le système athénien de la boulè et de l'ekklesia : les " grands " auraient constitué un comité exécutif, dont les décisions étaient ensuite entérinées par le gros de l'assemblée.

Parmi les fonctionnaires dont nous connaissons les titres, il faut mentionner : le limmum, principal représentant du kārum, habilité à agir en son nom pour faire appliquer ses décisions ; le hamuštum, fonctionnaire propre à l'administration "coloniale", dont le rôle reste mal connu ; le " scribe", sorte de secrétaire de l'assemblée, mais aussi collecteur de taxes.

On voit donc que l'organisation administrative des comptoirs assyriens dépendait beaucoup plus étroitement de l'autorité d'Aššur que de celle des princes cappadociens. Mais il serait faux de croire que ces derniers étaient soumis aux Assyriens, ou que les comptoirs commerciaux étaient totalement autonomes vis-à-vis du pouvoir local. En fait, les kārū bénéficiaient d'un régime d'extra-territorialité à l'intérieur des Cités-Etats anatoliennes. Non seulement les souverains locaux conservaient une entière indépendance politique, mais ils tiraient en outre des avantages substantiels du commerce des Assyriens.

Les rapports entre les marchands du kārum et l'autorité locale étaient régis par un traité juré, les mamîtûm, que l'on renouvelait à chaque fois qu'un nouveau souverain montait sur le trône. Les Assyriens garantissaient le paiement de la taxe nishatum (voir ci-dessus), reconnaissait au Palais un droit de préhension sur 10% des textiles a des tarifs préférentiels, et s'engageaient à respecter le monopole du Palais sur certains produits de luxe - engagement que négligeaient nombre de contrebandiers. En retour, le prince tolérait la présence des Assyriens dans le kārum ou le wabartum installé au pied de sa cité, leur permettait de s'administrer eux-mêmes, et leur assurait sa protection à l'intérieur du comptoir et sur les routes relevant de son territoire, offrant notamment des garanties contre les vols.

L'impérialisme économique des Assyriens ne s'appuyait donc nullement sur une domination politique, et il serait erroné de parler d'un " Ancien Empire " assyrien pour cette période. C'est d'ailleurs la faiblesse politique et militaire d'Aššur qui explique l'effacement de cette ville au cours du XVIIIe siècle et l'extinction progressive de son commerce avec l'Anatolie.

Les débuts de l'histoire anatolienne

A travers les rapports entretenus par les marchands assyriens avec les souverains anatoliens et avec les populations locales, on peut se faire une idée (certes "biaisée") des principales ethnies alors présentes en Anatolie centrale et de la situation politique de la région aux XIXe et XVIIIe siècle.

Les anthroponymes attestés dans les textes de Kaneš font apparaître trois grands groupes linguistiques : les Hattis, habitants indigènes de l'Anatolie, les Hurrites et les Indo-Européens, parmi lesquels on reconnaît notamment les Hittites et les Louvites. Les habitants de Kaneš étaient eux-mêmes indo-européens, comme ceux de la proche cité de Kussar, et il faut remarquer que les Hittites nommèrent plus tard leur propre langue nesili, " à la manière (des habitants) de Nesa ", Nesa étant vraisemblablement la forme abrégée de Kaneš.

L'Anatolie était divisée en de nombreuses Cités-Etats indépendantes, les plus importantes étant parvenues à imposer leur souveraineté aux cités les plus faibles. Les Assyriens donnaient le nom de " pays " (mâtum) à celles qui contrôlaient un territoire relativement étendu, et les textes parlent ainsi du pays Kaneš, des pays Wahshushna et

Burushaddum (au sud du Lac Salé), ou des pays Hattum et Zalpa (dans la partie septentrionale de l'Anatolie). Pendant la première période des comptoirs assyriens, les deux pays les plus puissants semblent être le pays Kaneš et le pays Hattum, dont la capitale est Hattush, la future Hattuša des Hittites.

Les événements qui survinrent en Cappadoce vers le milieu du XVIIIe siècle nous sont rapportés par un texte hittite, rédigé un peu moins d'un demi-millénaire plus tard. Ce document reproduit des inscriptions d'Anitta, connu comme roi de Kussara puis de Kaneš dont il fait sa résidence.

Anitta vainquit ensuite lui-même d'autres ennemis, comme les rois Piyushti du Hatti et Huzzipa de Zalpa, établissant ainsi sa domination sur une grande partie de l'Anatolie du Nord. Lors de la conquête du pays Hatti, la ville de Hattuša fut entièrement détruite et frappée de malédiction par Anitta, qui interdit sa reconstruction. Par son œuvre conquérante et unificatrice, Anitta peut être considéré comme la précurseur de l'Ancien Empire hittite.

La culture matérielle

L'apparition de tablettes en langue akkadienne sur différents sites d'Anatolie centrale, dont le plus important d'entre eux était Kaneš, l'actuel Kültepe, marque le début de ce que l'on a appelé la période des "Colonies assyriennes" et qui correspond archéologiquement à la deuxième phase de l'Anatolien Moyen (AM II) et à une partie de l'Anatolien Moyen III. C'est la stratigraphie de Kaneš qui sert de référence pour cette période.

Les sites où les marchands assyriens s'établissent sont des villes anatoliennes importantes, certainement les sièges de dynastes puissants. Les Assyriens ne se mélangent pas vraiment à la population indigène mais sont regroupés dans un quartier destiné au commerce. Il semble que ce quartier, auquel on attribue le nom akkadien de "kārum", soit généralement situé en contrebas de la ville indigène qui, elle, se trouvait en hauteur sur une acropole et sur sa pente.

Pourtant, hormis la présence de tablettes akkadiennes et de sceaux-cylindres, le matériel archéologique retrouvé sur l'emplacement des kārū, ne présente pas, à quelques exceptions près, de traits extra-anatoliens qui soient vraiment flagrants. Au contraire, de nombreux éléments ont leur origine dans le IIIe millénaire anatolien. C'est le cas notamment du domaine architectural et de la majorité des formes céramiques. C'est également vrai pour les pratiques funéraires sur les kārū qui ne se distinguent des pratiques anatoliennes que par un mobilier funéraire plus précieux et plus abondant et peut-être aussi par une tendance plus courante à la double inhumation (successive ou non) dans une même tombe. Ainsi, seule la présence de tablettes en langue akkadienne a permis de déterminer l'emplacement des kārū dans les villes anatoliennes.

La céramique de cette période est sans aucun doute la plus spectaculaire de tout le deuxième millénaire. L'introduction du tour de potier permit la réalisation de formes parfois très élancées et très fines. La forme la plus caractéristique est la cruche à bec (Schnabelkanne) qui comporte souvent une sorte de "passoire" servant à filtrer les liquides versés. Les récipients, en grande majorité monochromes rouges, sont vernis et parfois très polis, ce qui leur donne un aspect métallique. Les céramiques peintes, plus rares, sont quant à elles de couleur crème et ornées de motifs géométriques bruns, rouges ou noir. Un grand nombre de "rhytons" ont également été trouvés, en particulier sur le kārum de Kaneš. Ils représentent le plus souvent un animal, généralement un lion ou un aigle, et étaient vraisemblablement utilisés, mais peut-être pas exclusivement, lors de rituels.

Dans le domaine de l'architecture, les constructions de l'époque des Colonies assyriennes, ne sont en rien différentes de celles de l'âge du Bronze Ancien, à part peut-être une légère tendance à la multiplication des pièces. Toutes les habitations sont construites sur le même principe : une assise de fondation constituée de pierres et des murs en briques crues. Les édifices totalement construits en pierres sont plus rares. Les murs pouvaient être dans certains cas renforcés de poutres verticales en bois. La face intérieure des murs étaient recouverts d'un enduit de couleur claire. Les sols quant à eux étaient en terre compactée. Les toits étaient en terrasse et composés de brins de roseaux recouverts d'argile posés sur des poutres en bois horizontales et entrecroisées.

Il semble que les maisons à deux étages aient été courantes dans le kārum du moins à Kaneš. Malheureusement nous ne connaissons que l'état du rez-de-chaussée, mais il est probable que l'étage ait été plutôt réservé à l'habitation.

Les maisons des marchands assyriens s'organisent suivant un schéma assez homogène : on y trouve une cour, jamais centrale mais toujours intérieure, comportant très souvent un foyer et parfois un four; une cuisine caractérisée par un grand nombre de récipients ainsi qu'un foyer ou un four; un atelier remarquable par son sol pavé de dalles en pierre, destiné à éviter que celui-ci ne se transforme en boue si de l'eau était renversée; une pièce de stockage où divers types de récipients étaient entreposés; les tablettes étaient parfois rassemblées dans une pièce d'archives ou dans les maisons plus petites dans la cuisine ou la pièce principale; finalement une pièce était destinée à l'habitation proprement dite. On trouve aussi des habitations de taille plus restreinte, avec seulement deux pièces et parfois une cour.

Sur le kārum de Kaneš, à la phase stratigraphique II, nous observons une certaine régularité dans la disposition des maisons et des rues. De plus, il existe clairement un système collectif d'évacuation des eaux. Par contre, aux niveaux plus récents Ib, puis Ia, cette impression de planification urbaine est un peu moins claire. Les rues sont dans certains cas assez larges pour permettre à un chariot de passer.

Des ateliers de métallurgie, de céramique, ou de travail de la pierre ont été mis en évidence un peu partout sur les zones des kārū, entremêlés aux habitations. Il est difficile de déterminer la "nationalité" des artisans travaillant dans ces ateliers, mais à Kaneš le fouilleur y voit plutôt des indigènes. Toujours est-il que les formes produites sont aussi bien purement anatoliennes que nord-syriennes voire mésopotamiennes.

Il est intéressant de noter que, jusqu'à aujourd'hui, aucun édifice à caractère public ou religieux n'a été mis à jour sur le kārum de Kaneš, alors que les textes font clairement allusion à des bâtiments de ce type. Par contre des boutiques et des "tavernes" ont apparemment pu être identifiées (avec quelques réserves cependant).

Durant l'Anatolien Moyen III, les différents kārū qui nous sont connus subissent des destructions par le feu. Après cette période de troubles, les marchands assyriens ne sont plus présents en Anatolie, du moins de façon permanente. Il semblerait que les destructions soient à attribuer aux rivalités entre les différents dynastes anatoliens.

III - L'ANCIEN ROYAUME HITTITE
Culture matérielle

A partir du début du XVIe siècle, ou en suivant la chronologie relative, au début de l'Anatolien Récent, le site de Boğazköy, l'ancienne Hattuša, est choisi par Hattusili Ier pour devenir la capitale du royaume hittite.

Le site d'Hattuša était déjà occupé dès le début de l'Anatolien Moyen I et était durant la période des "Colonies assyriennes" le siège d'un kārum de moyenne importance. La ville a cependant été détruite vers la fin du XVIIIe siècle, peut-être par Anitta roi de Kussara, puis de Nesa, et l'occupation semble cesser pendant un intervalle d'un peu moins d'un siècle.

Pourtant, Hattusili Ier, l'un des premiers rois hittites qui soit documenté par des sources écrites, décide de refonder la ville d'Hattuša et d'en faire la capitale de son royaume. Il est très probable que son choix ait été influencé par les nombreux avantages naturels que comporte le site, mais aussi par des traditions anciennes qui nous échappent.

L'aspect de la région entourant la ville d'Hattuša était vraisemblablement assez différent de ce qu'il est aujourd'hui. En effet, la couverture végétale devait être beaucoup plus importante et des forets devaient recouvrir les plaines et les montagnes alentours. De plus, sept sources étaient censés couler autour de la ville.

A l'époque de l'ancien Royaume, la capitale était composée d'une acropole et d'une ville basse où se trouvaient les habitations. L'acropole (aujourd'hui Büyükkale) était probablement le siège du pouvoir et le lieu de résidence des rois. Nous n'avons malheureusement pour cette période que des restes archéologiques très fragmentaires à cause des nombreux remaniements successifs qui eurent lieu durant le Nouvel Empire notamment. La ville basse occupait toute la pente au nord et au nord-ouest de l'acropole et comprenait une surface d'environ 40 hectares.

Tout ce périmètre était entouré d'un mur d'enceinte, que la tradition écrite attribue au roi Hantili vers 1520. Ce mur d'enceinte s'inscrit tout à fait dans la tradition anatolienne : d'une épaisseur d'environ 8 mètres, il reposait sur un talus artificiel précédé d'un fossé. Le soubassement du mur d'enceinte était de type "casemate", c'est-à-dire formé de deux murs en pierre parallèles, reliés par des refends perpendiculaires. La superstructure en briques crues étaient ensuite construite sur ces socles. Des tours de gardes rectangulaires étaient disposées à intervalles réguliers tout au long de l'enceinte, tandis que des poternes voûtés en encorbellement permettaient de traverser le talus en plusieurs endroits.

D'après ce que nous savons de l'habitat de cette période, il semble que les maisons suivent le modèle anatolien courant organisé autour d'une cour découverte. Les techniques de construction sont identiques à celles que l'on trouve pour la période précédente en Anatolie centrale.

Pour ce qui est du domaine funéraire, on a trouvé sur la pente nord-ouest de l'acropole quelques inhumations dans l'habitat, soit sous la forme de simples fosses, soit dans des jarres enterrées sous le sol d'une pièce. Mais à côté de cela, un cimetière a été mis à jour, à l'extérieur des limites de la ville, à l'intérieur d'un ensemble rocheux portant aujourd'hui le nom d'Osmankayasi. Ce cimetière est intéressant à plus d'un titre mais sa particularité première est que l'on y trouve, à côté d'un faible nombre d'inhumations en fosses, une très grande majorité d'incinérations en urnes. Différents problèmes se posent dès lors : le premier d'entre eux est celui de déterminer pourquoi, alors que l'incinération n'a pas d'antécédents en Anatolie, on décide tout d'un coup d'adopter une pratique funéraire fondamentalement différente de l'inhumation qui était pratiquée depuis des millénaires. Le second problème est posé par la cohabitation à Osmankayasi, dans un espace très restreint, des deux pratiques, l'incinération et l'inhumation. A-t-on affaire à des populations vivant ensemble mais ne partageant pas les mêmes croyances dans l'Au-delà comme l'a suggéré le fouilleur Kurt Bittel? Ou bien la différence dans les pratiques funéraires serait-elle plutôt le reflet d'une différence sociale ? Pour le moment, il est encore difficile de trancher sur l'apparition de l'incinération, mais notons simplement qu'elle n'apparaît pas qu'à Hattuša : en effet, on trouve également des urnes cinéraires sur le cimetière d'Ilica, à une bonne distance à l'ouest de Boğazköy. Là encore les incinérations cohabitent avec quelques inhumations. Cependant, l'incinération reste apparemment un phénomène plutôt isolé, tandis que l'inhumation en fosses, en jarres ou en cistes est encore largement pratiquée sur le reste des sites de cette époque.

En ce qui concerne la culture matérielle de l'époque de l'ancien Royaume, la céramique suit, aussi bien dans ses techniques que dans ses formes, la tradition amorcée durant l'époque précédente. L'exemple le plus spectaculaire dans le domaine céramique est sans conteste le "vase d'Inandik", du nom du site où il a été retrouvé, qui représente des scènes, dont certaines sont probablement rituelles, sous formes de motifs en reliefs se déroulant en frises. En ce qui concerne la métallurgie, de nombreuses statuettes en bronze représentant des divinités nous sont parvenues.

IV - LE GRAND EMPIRE HITTITE

Les spécialistes de l'histoire hittite se divisent sur la question de l'existence ou non d'un Moyen Empire hittite (schéma calqué sur l'histoire égyptienne). Nous adopterons ici une mesure prudente, à savoir signaler la période considérée comme médiane sans pour autant prendre position. Par ailleurs, les dates de règnes des souverains hittites ne sont pas encore établies avec assurance, aussi est-il préférable de ne donner que leur succession avec seulement quelques repères en chronologie absolue.

Les débuts de l'expansion territoriale hittite - période du Moyen Empire

La transition entre Ancien Royaume et la période qui nous intéresse est ce que l'on appel un âge sombre, c'est à dire sans écrit. Cela ne signifie nullement un arrêt de la vie mais seulement notre incapacité à l'appréhender autrement que par ses vestiges matériels. Quoiqu'il en soit, il semble que l'on peut dire que les traités précédemment conclus avec le Kizzuwatna furent reconduits. Par ailleurs, le successeur de Telepinu, son gendre Alluwamna, fut certainement renversé par un usurpateur, Tahurwaili. Malgré cela, à Alluwamna succéda son fils Hantili II (il reste délicat de se faire une idée de la place et des actions de Tahurwaili). Ainsi se succédèrent les rois, parfois de façon obscure, jusqu'à la prise de pouvoir de Muwattalli Ier éliminé à son tour par la cour. C'est ici que se voit vraiment l'instabilité dynastique endémique à l'empire hittite.

L'expansion hittite sous Tudhaliya I/II

Vers 1400 av. J.C. monta sur le trône Tudhaliya qui fit prendre une nouvel aspect à la politique hittite. Après avoir remis en ordre les affaires intérieures, il regarda au delà de ses frontières. Il se heurta d'abord à l'empire hurrite du Mitanni (royaume situé sur la haute Mésopotamie). Il entrepris avant tout d'écarter de cet Etat le royaume du Kizzuwatna qui, voyant les troubles du Hatti, s'était tourné vers les Hurrites. Pour cela, il en écarta le roi du Kizzuwatna, SunAššura, en en faisant un de ses vassaux les plus importants. Plus tard, sans doute à la fin de ce règne, le Kizzuwatna fut intégré à l'empire hittite qui subit, en contre coup, l'influence de la culture hurrite fortement enracinée dans cette nouvelle province. La culture hurrite pénétra jusqu'au cœur de la dynastie de Hattuša dont les futures souverains portaient souvent des noms hurrites avant d'accéder au pouvoir. Alors seulement étaient adoptés des noms hittites ou luvites (langue du hiéroglyphique hittite).

Tudhaliya I/II fit campagne vers l'ouest et atteignit la mer Egée. Il se peut qu'il ait conquis Chypre (Alasiya ?) où l'influence hittite (en particulier en architecture, parallèlement à l'influence mycénienne) est nette. Arnuwanda Ier, successeur de Tudhaliya, proclama d'ailleurs son autorité sur l'île.

Guerres contre les Gasgas et déclin de la puissance hittite

Toutefois, l'empire hittite n'avait qu'une apparence de force car, au nord de Hattuša, dans la future région du Pont, vivaient les Gasgas. Ces 'barbares' s'avérèrent redoutables pour le Hatti. Peu sédentarisés, ils menaient de vastes opérations de pillage qui les amenaient jusqu'à Hattuša. A ce titre, les nombreuses copies de tablettes découvertes dans la ville provenant d'originaux brisés ou brûlés, témoignent de ces recrudescences de violence à l'intérieur même de la capitale. Aussi, même si Tudhaliya avait réussi à les tenir à l'écart, Arnuwanda Ier, son successeur, vit les Gasgas atteindre le centre de son empire, pillant et détruisant toutes les agglomérations sur leur passage. De là, la domination hittite perdit de sa force à l'ouest et tout l'empire parut vaciller. Dans cette région, les vassaux se détachèrent du Hatti et des noms comme Ahhiya (le future Ahhiyawa que l'on pense avoir d'étroits rapports avec la culture mycénienne), apparaissaient, témoignant de la création de nouveaux Etats. Sous Tudhaliya III, la capitale semble être tombée devant ces mêmes Gasgas et les provinces ont fait sécession massivement. Ainsi voit-on se créer un Etat en Arzawa qui établit des relations diplomatiques directes avec l'Egypte, grande puissance du moment. Le roi hittite abandonna dans le même temps son ancienne capitale, Hattuša, pour Shamuha sur le haut Euphrate.

Vers le Grand Empire

La fin du règne de Tudhaliya III semble avoir été plus glorieux. Fils d'une de ses concubines, Suppiluliuma entrepris plusieurs campagnes contre les Gasgas au nord, le Haiyasa au nord-est, l'Isuwa à l'est et l'Arzawa au sud-ouest. A la mort de son père, Suppiluliuma assassina le souverain légitime (nommé lui aussi Tudhaliya). C'est à ce moment que l'on fait débuter (en accord avec G. Wilhem) le Grand Empire hittite.

Le Grand Empire

En 1401 avant notre ère montait sur le trône d'Égypte le Pharaon Touthmosis IV (1401-1391) qui, dans le cadre de ses réformes religieuses, pris le nom d'Akhenaton. Il établit sa capitale à Akhetaton (Tell el Amarna). On a eu la chance d'y retrouver la correspondance diplomatique royale (350 tablettes en akkadien, langue diplomatique de l'époque) éclairant les relations de l'Égypte avec la Syrie - Palestine et le Mitanni. Par ailleurs, nous avons aussi une bonne connaissance de la correspondance diplomatique des Pharaons Amenhotep III (1391-1353) et Amenhotep IV (1353-1335). A ces documents s'ajoutent les très nombreuses sources hittites et assyriennes ainsi que, dans une plus faible mesure, des documents mitanniens. Or, la destruction de cet État fut un facteur décisif de la montée en puissance du Hatti.

La chute du Mitanni et les conquêtes hittites

Suppiluliuma commença son règne par l'achèvement de la soumission de l'Arzawa. Les frontières de son État bien assurées après ses nombreuses victoires, il pouvait se tourner vers le Mitanni. Le Kizzuwatna lui avait déjà été arraché, mais les alliance matrimoniales conclues entre le roi hurrite et Pharaon, lui avait permis, ayant la paix au sud, de protéger ses frontières contre Hittites et Assyriens au nord et à l'est. Suppiluliuma dut donc imaginer de l'affaiblir et de ne pas l'attaquer seul. Aussi eut-il recours à deux procéder classiques dans ce genre de situation. Lorsque les relations avec l'Égypte commencèrent à se dégrader, Suppiluliuma soutint un candidat au trône mitannien, Artatama II ce qui créait un conflit dynastique et obtint une alliance de revers en la personne du roi d'Assyrie Aššur-uballi Ier (1363-1328). En parallèle, Suppiluliuma maria sa fille avec le roi de Babylone ce qui, sur le plan international, marquait toute sa puissance. Le Mitanni était donc menacé au nord par les Hittites, à l'est par les Assyriens et au sud par les Égyptien qui depuis l'accession d'Amenophis IV s'était détournée de leur ancienne alliance.

Suppiluliuma marcha alors vers Wassukanni (la capitale hurrite) mais infléchit sa route vers le sud. Les raisons de ce changement d'itinéraire ne sont pas claires. Peut-être rencontra-t-il une résistance supérieure à celle prévue ou se heurta-t-il aux armées assyriennes qui s'étaient engagées dans la même voie. Quoiqu'il en soit, le roi hittite entrepris la conquête des Etats syriens du Mitanni. Il acquit Alep, Alalah ainsi que les États au sud du Ni'a et du Nuhasse. Mais Suppiluliuma se laissa aller à ses succès et se retrouva devant la ville de Qadesh. Ce petit État syrien était vassal du souverain d'Égypte. Dans l'introduction au traité entre Suppiluliuma et Sattiwaza le monarque du Hatti explique qu'il n'était pas entré sur le territoire de Qadesh pour combattre (cela était pourtant une violation de frontières). Pourtant, cet Etat s'opposa à l'avancée hittite mais fut enlevé. Ce jour vit l'inauguration de la guerre égypto-hittite qui ne devait s'achever que sous ces mêmes murs.

Les conquêtes furent structurées par l'installation de monarques vassaux à la têtes des États syriens dont Alep, le plus important, vit l'installation d'un fils de Suppiluliuma en la personne de Telepinu qui, auparavant, assumait de hautes fonctions sacerdotales au Kizzuwatna. Mais, paradoxalement, Karkemish, la grande cité néo-hittite du premier millénaire, résista longtemps avant de s'effondrer. Un autre fils de Suppiluliuma, Piyassili, en pris la tête. Sa descendance était toujours sur le trône à l'époque néo-hittite. Par respect pour les traditions locales, il adopta un nom hurrite: Sarrikusuh. L'empire hittite était, dès lors, devenu l'une des trois ou quatre grandes puissances de l'époque avec l'Égypte, l'Assyrie et la Babylonie kassite. Le Mitanni n'existait plus de fait. En effet, Artatama II était monté sur le trône après que Tushratta, son prédécesseur ait été battu par les Assyriens et les Hittites. Artatama II était devenu souverain d'un Etat vraiment très réduit et s'était surtout tourné vers les Assyriens. Or, la situation diplomatique entre ces derniers et les Hittites n'était pas des meilleures. Aussi, Suppiluliuma décida-t-il de soutenir le fils de Tushratta qui s'était réfugié à Babylone puis à Hattuša. Là, contre un traité de vassalité, on lui promit de le mettre sur le trône à la mort d'Artatama. Shuttarna II, fils de ce dernier contesta cet accord mais toutes ces transactions démontrent à quel point le Mitanni n'était plus qu'un jouer dans les mains de ses deux puissants voisins.

Suppiluliuma reçu un jour une ambassade égyptienne. La reine d'Egypte lui demandait de lui donner un de ses fils car son mari était mort (Akhenaton, Semenhkare ou Tutankhamon?). Elle proposait donc au roi du Hatti de faire d'un de ses enfants un pharaon. Après quelques hésitations, Suppiluliuma accepta et envoya un de ses fils au pays du Nil. Hélas, ce dernier fut assassiné en chemin, certainement par un parti égyptien qui ne pouvait admettre de laisser monter sur le trône l'un de leurs ennemis. Quoiqu'il en soit, ce fait démontre la place prépondérante qu'avaient pris les Hittites.

La grande œuvre de Suppiluliuma consista donc à détruire le Mitanni pour y installer son propre pouvoir. Il mourut de la peste suivit de près par son fils Arnuwanda II. Cela provoqua un grand soulèvement des Gasgas, des Mitanniens du Kizzuwatna et de l'Arzawa.

Un Empire en lutte perpétuelle

Shattiwasha, roi du Mitanni de part la volonté de Suppiluliuma était vassal du Hatti après que ce dernier Etat ait conquis Wassukanni. Vers 1320 monta sur le trône Mursili II un fils cadet de Suppiluliuma. Il dut faire face à un soulèvement général:

"Avant même que je me fusse assis sur le trône de mon père, les pays étrangers ennemis, tous ensembles avaient ouvert les hostilités contre moi".

Une telle situation est parallèle aux événements qui se produisaient lors de l'accession au trône des rois néo-assyriens. Dans ses annales, Mursili II nous raconte toutes ses campagnes guerrières. Il eut la chance que ses frères, installés sur les trônes syriens, lui restent fidèles et tiennent ses frontières les plus menacées. La situation se rétablit.

Muwattalli II dut faire face, à son tours, à des incursions des Gasgas. Il déplaça sa capitale dans l'Anatolie du sud, à Tarhuntassa et installa son frère, Hattusili, sur le trône du Hakpis (région du nord). Ce dernier fixa la frontière et fit quelques conquêtes. Entre temps, l'Egypte, quelque peu éclipsée, revenait sur les devants de la scène avec la XIXe dynastie. Ramsès II décida de reconquérir le Levant en partie abandonné de par les troubles internes à l'Égypte. Il remonta la côte pour arriver à la rivière du Chien près de Beyrouth, où il fit graver une inscription (exemple suivit par de nombreux conquérants après lui). L'année suivante, en 1284, il atteint Qadesh sur l'Oronte. Le pays d'Amurru (ouest en akkadien, situé dans les montagnes du Nusairi et au nord-Liban) fit soumission ainsi que la ville. Pourtant, Muwattalli était là, bien décidé à ne pas laisser perdre les conquêtes de Suppiluliuma. Ramsès II tomba dans un traquenard hittite aux pieds de la ville de Qadesh. Il se proclama vainqueur, tout comme Muwattalli. Il semble que la bataille ait été un demi succès ou légèrement à l'avantage du Hittite qui fit repasser le pays d'Amurru sous son influence. La situation politique et territoriale se fixa sur l'Oronte qui devint frontière. Plus tard, les deux États firent la paix. Muwattalli dut alors faire face à la pression exercée par l'Assyrie d'Adad-nirâri Ier (1307-1275) qui avait hérité d'une frontière avec l'empire hittite après la disparition du Mitanni.

Après de nombreux rebondissements dynastiques, Hattusili III monta sur le trône. Il reconduisit sa capitale à Hattuša et signa un traité de paix avec l'Egypte en 1259. En 1246, Ramsès II épousa une de ses filles. Hattusili, par une alliance avec Babylone s'efforça de contenir les poussées de l'Assyrie. Tudhaliya IV, son successeur, tenta d'imposer un blocus économique pour interdire l'accès à la Méditerranée aux marchants assyriens. Tout était en place pour un nouveau conflit de grande envergure après ceux du Mitanni et de l'Égypte. Pourtant, cette situation devint rapidement caduque.

La fin du Grand Empire

Dès Hattusili II surgissent les difficultés en Anatolie occidentale. Un certain Piyamaradu, soutenu par Tawagalawa frère du roi d'Ahhiyawa avait fomenté des troubles dans cette région. Hattusili admonesta le monarque. Au sud-ouest, le pays de Lukka devenait menaçant et, en règle générale, la présence hittite s'effritait à l'ouest. Après le cours règne d'Arnuwanda III, Suppiluliuma II accéda à la dignité royale. Il fut le dernier des grands rois dont l'existence soit assurée. Durant son règne, sa marine défit la flotte d'Alasiya (Chypre ?). Mention indiquant d'ailleurs que les Hittites ne possédaient plus cette île.

Cet événement est certainement à mettre en relation avec les mentions de pirates qui, à partir du XIII° siècle, se répandirent en Méditerranée orientale. Le roi hittite tenta de leur résister sur les rivage du Lukka grâce à la flotte d'Ugarit (port de Syrie du nord). Mais le succès n'était pas au rendez-vous, et de nombreuses villes côtières furent ravagées dont Ugarit. La situation interne ne semble pas avoir été très bonne non plus. En 1210, le pharaon Merneptha livra des céréales au Hatti et, depuis Tudhaliya IV, la multiplication des serments d'allégeance obligatoires indique combien l'on craignait les dissension.

Pourtant, tout n'était pas sombre. A la fin du règne de Tukultî-Ninurta Ier (1244-1208), la pression assyrienne se relâcha totalement, trop occupé qu'était cet État à s'opposer aux invasions du sud et de l'est. Aussi, l'est de l'empire hittite se développa. Hattuša fut, pour sa part, très embellie par Tudhaliya IV (aménagement du sanctuaire de Yazilikaya) et semblait mener une vie paisible.

Mais vers 1200 Hattuša fut complètement ravagée par un incendie. La ville semble avoir été détruite volontairement et abandonnée après ce drame. Le nord de l'Anatolie subit de nombreux phénomènes similaires, de même que le centre. Aucun renseignement sûr n'est connu sur l'identité des destructeurs. Peut-être les Gasgas ont-ils eu leur rôle à jouer, et sûrement faut-il y voir aussi les agissements des Peuples de la Mer vaincus par Ramsès III en 1186 qu'il nous décrit ainsi:

" Les pays étrangers firent une conspiration dans leurs îles. D'un seul coup, les nations furent détruites et éparpillées. Aucun pays ne put résister à leurs armes, le Hatti, le Kode, karkemish (cette mention est fausse), Arzawa et Alasiya, tous furent abattus d'un coup. Un camp fut élevé en Amurru. Ils tuèrent les gens et leurs terres étaient comme si elles n'avaient jamais existé. Ils venaient vers l'Egypte et le feu se propageait devant eux."
Culture matérielle

Après 1400, des remodelages importants eurent lieu sur l'acropole de Büyükkale, le lieu du pouvoir. Il s'agit dès lors d'un complexe palatial occupant tout le sommet. Au XIVe siècle, la surface était divisée en deux terrasses : au nord se trouvait le palais organisé autour d'une cour à portique; au sud se trouvaient les résidences de fonctionnaires ou de personnel dépendant du palais, et probablement aussi quelques sanctuaires. Au XIIIe siècle, la totalité de la surface du sommet est occupée par de grands bâtiments appartenant au complexe palatial. Un mur d'enceinte est également construit, isolant le palais du reste de la ville. La résidence royale se situait toujours dans la partie nord, au point le plus élevé. Plus au sud, on trouvait une cour à partir de laquelle on pouvait accéder aux Archives du palais, à divers locaux administratifs dont la fonction précise nous échappe, et à la grande salle d'audience.

L'ancienne ville basse est également reconstruite et est pourvue en son centre d'un important sanctuaire probablement dédié au dieu de l'Orage et à la déesse solaire d'Arinna. Ce temple est le plus grand qui ait été mis à jour jusqu'à aujourd'hui : il couvre une superficie de plus de 20 000 mètres carrés. Le temple, ou plutôt les temples car il semble que chaque divinité, d'un côté le dieu de l'Orage et de l'autre la déesse solaire, ait eu son propre temple, sont entourés d'entrepôts et de dépôts d'archives, ainsi que d'un mur délimitant le domaine sacré. Le plan de ces temples est identique à celui de tous les bâtiments religieux hittites : une cour rectangulaire à portiques entourée de nombreuses pièces et un vestibule donnant accès à la pièce principale du culte considérée comme la demeure du dieu et qui comportait la statue de la divinité.

En ce qui concerne les habitations, il semblerait que dans cette zone, le type traditionnel de la maison à cour ait tendance à être remplacé par des maisons à salle centrale et large vestibule, assez proches de certains bâtiments que l'on trouve sur l'acropole à proximité du palais et qui étaient probablement destinés à des personnes de haut rang.

La ville s'étend également de façon spectaculaire vers le sud, sur un plateau : c'est ce que l'on appelle la "ville haute" couvrant plus d'une centaine d'hectares. Il est difficile de dire si cette extension traduit un accroissement fulgurant de la population ou bien une volonté d'affirmer l'importance et la monumentalité de la capitale. En tout cas, cette ville haute est largement dominée par les bâtiments publics. Vingt et un (!) temples ont été mis au jour et ils semblent tous être groupés autour d'une voie circulaire. Leur plan est également homogène : de forme rectangulaire, ils sont organisés autour d'une cour à portiques, et comportent une salle souterraine servant de dépôt d'archives et de matériel. Les divinités auxquelles ces temples étaient consacrés n'ont pas encore été déterminées avec certitude.

Un nouveau mur d'enceinte, plus grand, est construit pour englober la ville haute. D'après ce que nous savons de cette enceinte, il semble qu'elle comportait au moins cinq portes : 3 du côté ouest et 2 à l'est. D'après ce que nous apprennent les textes de cette époque, les portes de la ville étaient fermées durant la nuit et réouvertes à l'aube par des fonctionnaires du palais. La nouvelle fortification était construite suivant le même type que l'enceinte de l'Ancien Royaume, à la différence près que l'on y a rajouté un mur bas en avant du mur principal. En ce qui concerne l'élévation des murs de fortifications, deux fragments de vase datant du XIVe siècle représentant un mur crénelé surmonté de tours rectangulaires crénelées elles aussi, nous donnent une idée assez précise de l'aspect des enceintes hittites.

Dans le domaine des pratiques funéraires, la période du Nouvel Empire est très mal documentée archéologiquement. Il semble cependant que les deux pratiques, l'inhumation et l'incinération, continuent à coexister. Le cimetière d'Osmankayasi n'est plus utilisé mais un autre massif rocheux, tout proche, le remplace. Cet ensemble, qui porte aujourd'hui le nom de Baglarbasikayasi, présente une forme analogue à son prédécesseur mais ne comporte plus que des incinérations en urnes. Le mobilier funéraire retrouvé dans les urnes semble avoir été plus abondant et plus précieux que dans les urnes d'Osmankayasi, et l'on a parfois émis l'hypothèse que les personnes incinérées à Baglarbasikayasi étaient des personnages de haut rang. En fait, le site ayant été fouillé trop rapidement au début du siècle, de nombreux éléments nous manquent pour affirmer quoi que ce soit de manière définitive. Ce qui est sûr, c'est que l'incinération était pratiquée durant le Nouvel Empire sur la personne des rois et des reines. Nous disposons en effet d'un texte particulièrement impressionnant décrivant en détail le déroulement des funérailles royales. A ce titre le site de Yazilikaya est intéressant car d'après l'opinion d'un certain nombre de chercheurs et en particulier Kurt Bittel, il aurait pu servir d'ensemble funéraire destiné aux rois hittites.

Yazilikaya est un massif rocheux situé à deux kilomètres au nord-est de Hattuša. Il fut aménagé sous les règnes de Hattusili III et de Tudhaliya IV durant le XIIIe siècle. A l'entrée des deux galeries naturelles creusées dans la roche, un ensemble monumentale fut construit, fermant ainsi le site. Les parois des galeries ont été couvertes de bas-reliefs devant représenter les "mille dieux" du pays Hatti. En fait, seulement 63 divinités apparaissent. Dans la première galerie, deux processions sont représentées dans lesquelles les divinités mâles viennent à la rencontre des divinités féminines. En tête des processions se tiennent les dieux principaux : le dieu de l'Orage d'Hattuša, la déesse solaire d'Arinna, leur fils Sarruma, et probablement le dieu agraire et fondateur Telebinu. La deuxième galerie est certainement plus en rapport avec le domaine funéraire avec la représentation de divinités de l'autre monde. Kurt Bittel pense que le petit espace auquel cette galerie aboutit a pu servir de chambre funéraire au roi Tudhaliya IV, mais jusqu'à aujourd'hui aucune trace archéologique n'est venue confirmer cette hypothèse.

Dans le domaine matériel, l'époque du Nouvel Empire ne présente pas d'innovations spéciales, à part l'utilisation généralisée des stèles sculptées en bas-relief dont les thèmes sont essentiellement religieux. La caractéristique principale de la représentation anthropomorphique hittite en relief est de montrer les corps de face tandis que la tête et les pieds sont de profil. Les orthostates, blocs d'architecture sculptés, sont également courants, les plus impressionnantes étant celles d'Alaca höyük.

Bien que les textes fassent état de statues de divinités dans les temples, aucune ne nous est parvenue. Les statuettes de petite taille sont par contre bien représentées : elles sont fabriquées en métal, en ivoire ou en pierre.

Dans le domaine de la céramique, les formes sont beaucoup moins diversifiées que durant les périodes précédentes et l'on a parfois parlé d'une production plus "industrielle". Ce phénomène de standardisation qui s'est accompagné d'une baisse dans la qualité de la production céramique ne touche que les récipients à usage domestique. La céramique destinée au culte est par contre toujours aussi soignée et variée.

Vers la fin du XIIIe siècle, peu avant la chute de l'empire, la capitale semble subir un développement anarchique, aussi bien dans la ville basse que dans la ville haute. Des constructions plus modestes se multiplient et les anciens temples sont parfois remplacés par des bâtiments à caractère profane. Cela traduit sans aucun doute une période de trouble annonçant l'effondrement de la puissance hittite qui est visible archéologiquement avec la destruction totale de la ville d'Hattuša.

V - LA PERIODE NEO-HITTITE (ca. 1000-700 av. J.C.)

La destruction de l'empire hittite est suivie, comme souvent dans un tel cas, par ce que l'on nomme un âge sombre. En Anatolie, les écrits font totalement défaut. Par ailleurs, toutes les régions avoisinantes du Hatti sont touchées par le même phénomène ce qui ne nous permet pas de posséder, de façon satisfaisante, de sources extérieures. Que peut-on dire de la situation telle qu'elle nous apparaît à la fin de cette période lorsque les textes recommencent à nous éclairer?

Les sources

Les sources à notre disposition consistent avant tout en documents externes, tout spécialement assyriens mais aussi babyloniens, hébreux et urartéens. La chronologie des événements nous est connue par les chroniques et annales assyriennes ainsi que babyloniennes. Les tentatives de recalage, en chronologie absolue, des dynasties néo-hittites s'appuient en particulier sur les éponymes assyriens (système de datation basé sur l'attribution d'un nom de haut dignitaire à l'année en cours). A cela, il faut ajouter des lettres et textes économiques datants de la période sargonide et tout spécialement de Sargon II lui-même. Enfin, les sources locales consistent essentiellement en inscriptions lapidaires que l'on retrouve le plus souvent dans les capitales des États néo-hittites. Bien sûr, l'archéologie, outre la mise au jour des textes eux-mêmes, à permis de mettre en évidence les niveaux de cette période dans un grand nombre de sites: Karkemish, Tell Ahmar, Hama etc. Hélas, on ne peut déterminer, par la culture matérielle telle que céramique, la présence d'un peuplement de tradition 'anatolienne' aussi, mis à part les textes très typés pour leur part, il est impossible de caractériser une occupation néo-hittite. L'écrit est donc notre principal appui.

Les caractéristiques des États néo-hittites

Quatre grandes différences avec la fin du Grand Empire peuvent se définir :

1- Les sites précédemment peuplés et jouant un rôle important, tel Hattuša, furent abandonnés.

2- Les zones de peuplement se déplacèrent de l'Anatolie centrale au sud ouest, ainsi le nord de la Syrie accueillit la majeur partie des États néo-hittites.

3- L'écriture subit une profonde transformation. La langue hittite (le Nesili) notée en cunéiforme disparut complètement de nos sources pour être remplacée par le Luvite (originaire du Kizzuwatna) écrit, comme précédemment, en hiéroglyphes (pour les monuments de prestige en pierre) et en cunéiforme. C'est cette survivance, même si le Nesili est abandonné, qui permet le plus d'attribuer le nom de Néo-hittites à ces populations.

4- Enfin, il n'exista plus un royaume ou un empire hittite mais une multitude de petits États aux frontières assez vagues, ayant pour centre une ville importante autour de laquelle gravitaient villes secondaires et villages.

Ces petits États étaient dirigés par des roi dont l'onomastique est de tradition anatolienne luvite. La faible quantité des textes de la pratique découverts ne permet pas de saisir si la population suivait ou non le même système de dénomination permettant de définir les origines ethniques. Parallèlement à ce déplacement de la culture hittite vers le sud-est apparurent les Araméens, population sémite qui contesta aux Néo-hittites la possession de la Syrie du nord. Les contacts furent très important, à tel point qu'il est parfois délicat aujourd'hui (comme d'ailleurs à l'époque) de discerner les États les uns et des autres. La classification la plus claire a été établit, pour les plus importants, par J. D. Hawkins dans son article Assyrians and Hittites (IRAQ 36, 1974, p. 67 à 83):

1- États à caractères majoritairement hittites: Karkemish, Gurgum, Melîd, Kummuh, Unqi.

2- États à population mixte: Que, Sam'al, Til Barsip (ou Masuwari/a), Hamath.

3- États à caractères majoritairement araméens: Arpad, Damas.

Ces deux types de peuplements étaient soulignés par les voisins, en particuliers les Assyriens, par l'adoption de deux termes génériques: KUR Aram et KUR Hatti soit, pays d'Aram et de Hatti (il faut aussi remarquer que la toponymie est fondamentalement conservatrice, tout spécialement chez les Assyriens qui nommaient toujours à la fin de leur Histoire la région de l'ancien Mitanni Hanigalbat, terme du deuxième millénaire).

Les royaumes néo-hittites

L'histoire de ces royaumes commence à nous être documentée assez tardivement. Ils se sont formés durant les trois siècles suivant la chute du Grand Empire. Le centre le plus important était Karkemish, ville située sur l'Euphrate (aujourd'hui en Turquie) à 20 kilomètre au nord de Til Barsip elle-même néo-hittite (aujourd'hui Tell Ahmar, Syrie). Dans la région de l'ancien Mukish (dont la capitale était Alalah) se plaçait le royaume d'Unqi (ou Pattin) avec sa ville principale Kunulua. Au nord, aux pieds du flanc est de l'Amanus se situait Sam'al (aujourd'hui Zincirli) et encore au nord le royaume de Gurgum dont la capitale était Marqasi (la moderne Maraç). A l'ouest de Karkemish était Kummuh ayant une frontière commune avec l'Urartu. Au nord toujours: Melîd. Dans la classique Cilicie était Que. Enfin, Hamath était le plus méridional des royaume néo-hittites dont la capitale du même nom est la moderne Hama.

Les premiers événements intelligibles

Tiglath-phalasar Ier (1114-1076) fut le premier roi assyrien à franchir l'Euphrate (entre 1104 et 1087) après les événements du XII° siècle. Il mena une expédition vers l'Amurru (ou la Phénicie, le terme d'Amurru désigne, de façon plus étendue la région envahie par Suppiluliuma Ier au deuxième millénaire). Après avoir piller cette région et celles qui l'entouraient, il retraversa le fleuve et en profita, puisque l'occasion se présentait, pour lever tribut sur le roi du Hatti Ini-Tessup. Ce monarque dirigeait la ville de Karkemish. Ainsi se constataient deux éléments importants pour les chercheurs.

1- Karkemish était toujours considérée, deux cents ans après la fin de l'empire, comme une ville de culture hittite.

2- Le roi en place portait toujours un nom hurrite, comme le fils de Suppiluliuma. Récemment, il a était établi que la dynastie d'Ini-Tessup était bien celle mise en place par Suppiluliuma. Le roi assyrien occupa quelques places stratégiques (Pitru et Mutkinu) dans le but probable de contrôler le passage de l'Euphrate. Enfin, il mentionne la ville de Melîd (Milidia) qu'il nous dit être du KUR Hatti (cette mention n'est peut-être pas contemporaine de la campagne contre l'Amurru). Il prit alors tribut de son roi Allumari. Malgré ces beaux succès assyriens, l'occupation de la région, voie de passage vers le Levant, ne fut pas profonde ni durable et il faudra attendre Aššur-nazir-pal II (883-859) pour voir à nouveau un monarque d'Aššur franchir l'Euphrate.

C'est sous le règne d'Aššur-rabi (1010-970) que les deux villes emportées par Tiglath-phalasar Ier furent prises par les Araméens. Adad-nirâri II (912-891) fut le premier à parler de l'existence d'un 'État' araméen dans la boucle de l'Euphrate, du nom de Bît-Adini et ce à l'occasion de sa campagne de 899 contre le Hanigalbat (région à l'ouest de Harran). Il nous dit que le roi de cet Etat paya tribut juste après la conquête de Huzirina (nord de Harran). A cette époque, le Bît-Adini semble s'être situé au sud (en face du Bît-Agusi) et n'englobait pas encore la ville de Til Barsip dans laquelle la tradition royale anatolienne était très forte (ce dernier nom de Til Barsip semble avoir était adopté tardivement, par les Araméens eux-mêmes, quelque temps seulement avant sa prise par Salmanasar III, avant, Masuwari était le nom 'hittite' de la ville). Le Bît-Adini semble être la plus ancienne fondation d'un État araméen en Syrie du nord. En parallèle se créèrent le Bît-Agusi, Sam'al (peut-être Bît-Gabbari). La conséquence fut d'imposer une pression importante sur les États néo-hittites. Si l'on estime que Masuwari est restée hittite depuis l'Empire (ce qui est loin d'aller de soit), il est fort à penser que la création du Bît-Adini lui causa très rapidement préjudice en rognant sur son territoire (dont la dimension, comme pour toutes les autres cités néo-hittite est impossible à évaluer). Au sud, l'Ancien Testament nous apprend que le roi Toi de Hamath (de nom hurrite) payait tribut au roi d'Israël David après que ce dernier ait vaincu Hadad-ezer roi de Zobah. Ainsi, les royaumes néo-hittites tels qu'ils nous apparaissent au début du premier millénaire n'étaient pas des puissances de premier rang et les perspectives d'avenir, sauf peut-être pour les États plus au nord (Melîd, Kummuh) n'étaient pas brillantes. Les États au sud-ouest de l'Euphrate (Hamath, Unqi) se trouvaient confrontés à des problèmes de convoitises étrangères (Assyriens, Araméens), Kummuh et Melîd devaient faire face à l'Urartu et seule Karkemish restait une véritable puissance (mais ne pouvant rivaliser avec ses deux grands voisins assyriens et urartéens).

La disparition des Etats néo-hittites

La destruction des États néo-hittites peut être imputable à la politique assyrienne d'expansion vers l'ouest. La première région à en subir les conséquences fut le Bît-Adini. Aššur-nazir-pal II (883-859) fut le premier à renouer avec les hauts fait de Tiglath-phalasar. La menace que faisait peser Aššur sur la boucle de l'Euphrate s'était intensifiée sous les prédécesseurs Aššur-nazir-pal et ce dernier se rapprochait un peu trop de l'espace vital d'Ahuni, roi du Bît-Adini. Pourtant, on ne pouvait plus parler d'Etat néo-hittite (au sens politique du terme mais la culture restait vivace) car il semble, sans que l'on puisse déterminer les faits avec précision, que Masuwari soit tombée sous la pression araméenne au début du règne d'Aššur-nazir-pal et qu'Ahuni (portant un nom sémite) soit devenu le roi du Bît-Adini dont la nouvelle capitale était par voie de conséquence Til Barsip (nom de Masuwari attesté à partir de Salmanasar III). Quoiqu'il en soit, ne pouvant affronter directement son grand ennemi, Ahuni fit comme souvent dans de tels cas des tentatives de le vaincre sur des fronts secondaires (en soutenant, par exemple un prétendant anti-assyrien à Suru en 883). Cela entraîna une riposte directe d'Aššur-nazir-pal en 876 qui obligea Ahuni à payer tribut. Le roi assyrien franchit alors l'Euphrate et reçut tribut de Sangara roi de Karkemish. Après avoir battu le Bît-Agusi (dont la capitale était Arpad), il arriva à Hazazu (aujourd'hui 'Azaz) une cité de Lubarna roi d'Unqi. Puis il marcha sur Kunulua la capitale de ce même État. Lubarna fit soumission et paya tribut. Il se dirigea ensuite vers la Phénicie, proie riche et alléchante pour ce grand pillard. La politique assyrienne n'était donc pas de conquérir les territoires traversés mais juste de faire un voyage de rapine en direction de la Méditerranée. Le long de cette route, on s'assurait de la soumission des peuples, toujours trop faibles pour résister individuellement et l'on obtenait leurs richesses par le tribut. Pourtant, si Aššur-nazir-pal obtint facilement le passage sur l'Euphrate, son successeur, Salmanasar III (858-824) dut faire face à de plus grands obstacles qui entraînèrent les débuts de la formation de l'Empire néo-assyrien.

Salmanasar III fut un roi guerrier dont les actes dépassèrent de beaucoup son propre règne. Si ses prédécesseurs furent de grands pillards, ils ne surent, ou plutôt, ne voulurent pas pratiquer l'annexion des zones traversées par leurs armées. Salmanasar pour sa part avait des idées bien arrêtées: l'ensemble de ses actes guerriers montre son intention de s'assurer le passage définitif et sûr de la boucle de l'Euphrate. J. D. Hawkins distingue trois moments dans ses campagnes. 1- 858-855: actions contre les passages sur l'Euphrate (Bît-Adini) et le nord de la Syrie. 2- 853-841: campagnes contre le sud de la Syrie et l'alliance Hamath-Damas. 3- 840-831: attaques de Que et des États du Taurus. De 858 à 856 il détruisit le Bît-Adini et fit de Til-Barsip une cité royale (où Fr. Thureau-Dangin a retrouvé un palais assyrien dont les fresques sont reconstituées au Louvre). Il la renomma Kar-Salmanasar (Port-Salmanasar). Le premier État à éléments néo-hittite était tombé sous les coups des Assyrien et devenait province d'Aššur dépendant de Harran (Kar-Salmanasar, dont le nom resta pour tous Til-Barsip, devint capitale régionale sous Tiglath-phalasar III). Pour les autres contrés traversées sur son chemin, Salmanasar se contenta de piller et d'imposer tribut mais l'ouverture à l'ouest resta permanente (même si Karkemish ne fut pas, par calcul, conquise, le passage de l'Euphrate assuré par Til-Barsip était suffisant).

De 824 à 745, l'Assyrie traverse une phase d'inertie. Les rois ne sont plus capables, de par des troubles internes, de projeter leurs armées aussi loin que Salmanasar, tout au moins de façon systématique. Pourtant, au début du VIIIe siècle (entre 808 et 796 pour sa prise de fonction, toujours présent en 752 et absent en 742) apparaissait un personnage qui joua un grand rôle dans la conservation des acquis assyrien. Cet homme était shamshi-ilu, le turtânu (générale en chef des armées assyriennes et gouverneur de la province de Harran) qui, depuis Til-Barsip, vainquit l'Urartu. Or, pour commémorer un tel événement, il fit ériger deux lions dans le palais de la ville qu'il dénomme ville de ma souveraineté (âl bêlûti-ia). La virulence de la culture néo-hittite était telle en ce lieu que le turtânu donna à ses lions un style néo-hittite.

A partir de Tiglath-phalasar III (745-727) les opérations militaires reprennent de façon systématique. Il continua la politique de Salmanasar III à grande échelle et créa de nombreuses provinces aux nord de la Syrie détruisant les Etats araméens et néo-hittites. Sargon II (722-705), après le cours règne de Salmanasar V, continua à agir de la même façon. Les conquêtes assyriennes le portèrent à intervenir toujours plus loin et en particulier contre les Etats d'Anatolie et du Taurus. Tiglath-phalasar III avait soumis la Syrie, Sargon II détruisit les cités néo-hittites du nord. En 717, sur le prétexte d'une cessation de paiement du tribut, Sargon enleva Karkemish. La cité maîtresse de la culture néo-hittite n'existait plus. Grâce aux sources assyriennes et aux traces archéologiques il est possible de dresser un tableau chronologique de la fin des Etats néo-hittites et de leur voisins araméens et hébreux dans un schéma général de soumission de l'ouest (toujours selon J. D. Hawkins):

Arpad 743-740

Unqi 738

Damas 733-732

Israël 724-722

Hamath 738-720

Karkemish 717

Hilakku 713

Que avant 710 ?

Melîd 712

Gurgum 711

Kummuh 708

Sam'al avant Asarhaddon ?

L'histoire des États néo-hittites ne nous est donc pratiquement connue que par des sources externes et spécialement assyriennes. Pourtant elle fut très vivace. Malgré les faibles attestations archéologiques il est certain que la tradition hittito-luvite, ou tradition anatolienne, s'est propagée du centre et sud de la Turquie actuelle pour se reporter sur le nord de la Syrie. Elle se constate essentiellement dans la sculpture rupestre et dans l'architecture. Si un 'outillage' domestique néo-hittite n'est pas définissable, une caractéristique néo-hittite était nette pour les anciens. Ainsi, Sennacherib (705-681) utilisa-t-il des barques hittites construites en partie par des Hittites de Ninive et partie par les Hittites de Til Barsip pour sa campagne contre le Bît-Yakîn (Iraq du sud). Ainsi, la parenté culturelle et l'existence d'un style néo-hittite est incontestable. La tradition hiéroglyphique ne put survivre à la conquête assyrienne et elle s'éteint durant le VII° siècle en Anatolie. Par ailleurs, la politique de déportation menée sur une très grande échelle par les Assyriens puis les Babyloniens favorisa sans aucun doute l'extinction d'une unité culturelle déjà éprouvée. Il est possible, pour adopter un schéma simple de dire que les Hittites disparurent après Sennacherib mais nombreuses restaient leurs influences en particulier dans la formation même de l'Empire néo-assyrien qui les acheva.


Ce travail de synthèse a été préparé et rédigé par Renaud Arpin et Metin Köse pour la partie sur les Colonies assyriennes, Philippe Clancier pour la partie historique et Yannis Deliyannis pour la partie archéologique. Les opinions exprimées ci-dedans n'engagent que leurs auteurs.