association des amis de la civilisation hittite
Si nos connaissances sur les périodes les plus anciennes sur l’Anatolie sont éparses, il en est autrement pour les périodes suivantes. Le Néolithique Acéramique est une période riche en vestiges et il est difficile de résumer des décennies de découvertes en quelques lignes. C’est pourquoi nous n’aborderons dans ce numéro que la phase acéramique du Néolithique à travers les sites les plus représentatifs.
Le PPNA et le PPNB (Pre-Pottery Neolithic A et B) doivent leur nom à une phase stratigraphique du site de Jéricho, qui se trouve près de la Mer Morte. Si le PPNA est clairement défini au Levant, le PPNB est une culture plus large dont les caractéristiques concernent tant des techniques de taille de la pierre, la généralisation d’une architecture rectangulaire que l’économie alimentaire fondée sur une agriculture elle-même en pleine croissance et l’apparition de l’élevage.
Cette période commence vers 8700 av. J.-C.; elle possède une aire d’origine au Levant et des zones d’expansion progressive. Le PPNB Ancien (8700 – 8200) concerne les territoires de Syrie du nord avec une première phase d’extension vers l’Anatolie du sud-est. Le PPNB Moyen (8200 – 7500) et le PPNB Récent (7500 – 7000) sont deux phases d’expansion vers le nord et le sud.
Les sites précéramiques de Turquie procèdent des deux dernières phases, à travers ce que J. Cauvin a appelé le «PPNB du Taurus» (Cauvin 1988 et 1994).
Si le site de Çayönü, dans le bassin du Haut Tigre, près de Diyarkebir, est connu pour les phases les plus anciennes, il faut attendre les travaux plus récents qui ont fait connaître d’autres sites tels que Cafer Höyük et Boytepe pour les phases du PPNB Ancien et Moyen. Le site de Nevalı Çori, qui se trouve à la limite nord de la Jézireh syrienne, présente des caractéristiques intermédiaires entre le PPNB du Moyen Euphrate et celui du Taurus.
Ce faciès possède des traits qui ont pour origine le Moyen Euphrate mais aussi des caractères originaux provenant soit d’un environnement montagnard (comme l’obsidienne), soit d’une culture locale encore mal connue.
Il existe une architecture de maisons rectangulaires à longues pièces transversales ou à petites cellules à peu près carrées; le premier type est le grill-plan: il est formé d’une plate-forme en terre avec des murs parallèles en pierre en forme de grill (à fonction possible d’isolation). L’habitat était installé sur cette plate-forme. On le retrouve à Cafer Höyük et à Çayönü; le second type, toujours sur ces deux sites, est le cell-plan. Ce plan est formé de petites cellules aux murs renfoncés par des pilastres. Ces pièces sont destinées au stockage et supportaient un niveau supérieur qui était probablement de plan tripartite. Nevalı Çori présente de son côté un plan intermédiaire: c’est un habitat cellulaire posé sur un soubassement pierreux coupé de canaux transversaux parallèles.
D’autres traits culturels sont moins perceptibles comme l’industrie de l’os, à Çayönü, Cafer Höyük et à Nevalı Çori, qui est de «tradition euphratique»: elle comporte par exemple des aiguilles à chat que nous retrouvons dans le «PPNB du Taurus» autour de 8000 av. J-C. et vers 7000 av. J-C. en Anatolie centrale. Des manchons en os pour les hachettes et les boucles de ceinture en même matériau sont aussi présents. Enfin, des pierres à rainures décorées existent à Çayönü et à Cafer Höyük (sans doute pour le travail des roseaux).
L'économie repose sur l’agriculture: le blé amidonnier, l’engrain et les légumineuses (lentille) domestiques sont présents dès la fondation de Cafer Höyük ou à Çayönü. L’élevage n’y existe pas encore.
Par contre, d’autres traits singularisent ce PPNB. Il y a d’abord l’utilisation croissante de l’obsidienne présente en Anatolie. C’est en tant que matériau de base pour les outils qu’elle fut utilisée ainsi que le silex local. Il existe, par ailleurs, un autre type de débitage en dehors du débitage classique sur nucleus naviforme: les lames sont aussi débitées par pression, en appuyant fortement la pointe d’une béquille sur un nucleus immobilisé au sol. C’est une technique connue dans le Zagros vers 9500 av. J-C.
Enfin, on retrouve également un aspect plus symbolique avec les nombreuses figurines en terre cuite animales (surtout de bovidés) et les figurines anthropomorphes, plus ou moins réalistes. A Nevalı Çori, il y a des figurines anthropomorphes en pierre de dimensions diverses et un bas relief en calcaire où figurent côte à côte deux personnages anthropomorphes les bras levés encadrant un troisième personnage plus petit aux membres courts et au ventre gonflé. Hauptmann pense à la représentation d’une tortue mais Cauvin suggère plutôt la figuration d’un couple divin (Hauptmann 1993 p.67 ; Cauvin 1994 p.120).
A Çayönü existent 70 crânes humains groupés dans un seul bâtiment, à l'intérieur de petites cellules fermées par de grandes dalles horizontales. Ce bâtiment au plan rectangulaire avec, dans sa base la plus ancienne, une abside, a aussi contenu les restes de 400 individus des deux sexes et de tous âges inhumés sous le sol. Dans sa partie rectangulaire sont plantées des stèles verticales. Une grande pierre plate y a révélé des traces de sang animal et humain.
Çayönü n’est pas le seul site d’Anatolie orientale à avoir livré des bâtiments de ce type. On peut y rapprocher une structure du site de Nevalı Çori. La phase ancienne de cette structure possède la même extrémité arrondie. La salle carrée est également entourée de grandes dalles à plat et couvrant des petites cellules ou encastrées verticalement dans le mur.
L’Anatolie centrale fut néolithisée au PPNB récent, sans doute par des populations venant de la partie orientale.
Hacılar, fouillé de 1957 à 1960, est implanté au sud-ouest de l’Anatolie, à l'extrémité du lac de Burdur. Il s’agit d’un village qui fut occupé sept fois avant d’être abandonné. Les bâtiments ont une pièce principale rectangulaire, entourée de petites pièces. Les murs extérieurs étaient construits en briques crues sur fondations de pierres. Ils étaient plâtrés et peints en rouge ou avec un décor géométrique rouge et crème. Les fours et les foyers se trouvaient à l’extérieur des habitations. Le mobilier se compose de vases de marbre et de récipients de bois. L’outillage, en silex et en obsidienne, comprend des lames de faucille, des haches polies et des lames.
L’économie repose sur l'agriculture: blé, amidonnier, orge, lentille… mais aussi sur la chasse du daim et du bœuf sauvage. Il faut enfin noter que plusieurs crânes humains isolés ont été retrouvés.
Aşıklı, en Cappadoce, livre actuellement des données plus complètes mais seulement 10% du site à été fouillé à ce jour. C’est un tell se trouvant près d’Aksaray. On y distingue deux phases d’occupation:
Pendant la première, les maisons rectangulaires trapézoïdales sont édifiées en pisé et comprennent deux ou trois pièces. Les sols sont enduits d’argile et recouverts de nattes de roseaux. Le mobilier se compose de meules, de bois de cerf, d’outils en obsidienne et en os. Les habitants chassaient et cultivaient l’orge et le blé.
La seconde installation a été plus durable. Les habitations s’agglutinent les unes aux autres et sont séparées par des espaces réduits. La circulation devait se faire par les toits et les différents travaux devaient s’y dérouler; les déchets étaient ensuite jetés au sol, en contrebas des maisons comme le montre la présence de décharges. Un mur d’enceinte en pierre et en pisé a été mis au jour dans la partie orientale. L’utilisation de la pierre dans l’architecture est propre à cette phase. Plusieurs sépultures ont été retrouvées et les défunts sont inhumés avec leur parure.
Il n'y a pas d’élevage et, ce qui est plus étonnant, il n’y aurait pas non plus d’agriculture. Ces villageois semblent n’avoir vécu que de la chasse de cerfs et de la cueillette de baies.
Le mobilier lithique est abondant en lames en obsidienne. Le matériel se compose essentiellement de microlithes issus de nucleus naviformes, de lames retouchées et de grattoirs. Il n’y a pas de trace de débitage par pression. Dans le domaine figuratif on retrouve des figurines en terre cuite d’animaux et pour la parure, des colliers de dents de cerf et de perles en cuivre natif.
Plus récents sont les sites de Can Hasan III et surtout celui de Çatal Höyük. Ces deux villages, datés de la fin du VIIe millénaire, sont pleinement agricoles alors que l’élevage reste incertain. Par contre, on y pratique abondamment une chasse à l’aurochs. seul le second site développerait un élevage d’ovicapridés.
S’il y a donc, pour la période qui nous occupe, un phénomène évident de diffusion (les agriculteurs venus du Moyen Euphrate remontaient le cours des vallées et occupaient les pentes du Taurus et de l’Anatolie orientale et centrale), il est difficile, devant la complexité des résultats et l’absence de sites intermédiaires entre l'Anatolie et la Syrie de l’ouest, d’en préciser les modalités et même l’origine exacte. Toutefois, les racines du Néolithique Acéramique de l’Anatolie sont à rechercher au Levant et dans les plateaux irakiens.
Par contre, un site tardif tel que Çatal Höyük permet une meilleure compréhension de la transition entre le Néolithique Acéramique et les périodes plus riches qui vont suivre avec les grandes cultures mésopotamiennes.