L'ANATOLIE AVANT LES HITTITES
Le paléolithique et le mésolithique
par Alain Gaulon, Paris.
Nos connaissances sur le peuplement de l’Anatolie depuis le Paléolithique
sont lacunaires. En effet, si cette région à été habitée de façon
plus ou moins dense pendant tout le Paléolithique, elle présente une
absence de données pour la période suivante. Cette absence a longtemps
été interprétée comme le résultat d’une insuffisance des
recherches. Aujourd’hui, la préhistoire de l’Anatolie peut être
complétée grâce aux nouvelles données que sont les travaux sur
l’environnement et les récentes prospections.
Les sources
Nos informations proviennent de trois types de source:
l’environnement, les prospections et les fouilles.
Les travaux des géologues et des palynologues nous ont apporté des
informations précieuses sur cette époque. En effet, le climat était
froid et sec, les limites des neiges étaient plus basses qu’à présent
et l’étendue des lacs à la fin du pléistocène offrait un paysage peu
favorable à l’homme, surtout pour les habitats en plein air.
Des
fouilleurs ont effectué plusieurs prospections dans les années 1940-1960.
Les résultats de toutes ces prospections sont publiés sous forme de
notes. Malheureusement, celles-ci sont très souvent lacunaires et il est
difficile d’en tirer les informations utiles. Parmi les travaux plus récents,
une prospection en Anatolie centrale n’a rien donné d’antérieur au Néolithique
précéramique et une prospection dans le sud-est de l’Anatolie par
Benedict n’a rapporté que quelques éléments nouveaux à propos de
deux sites, Biris et Sögüt Tarlası. Il semblerait que
ces deux sites soient finalement plus
récents que ne le pense le fouilleur. Enfin, depuis le lancement d’un
programme de grands barrages dans l’est de l’Anatolie, les régions
vouées à l’inondation ont fait l’objet de prospections systématiques
comme la région du Keban par Kökten en 1971-76 et Whallon en 1979:
les résultats indiquent un vide entre le Paléolithique supérieur et le
Néolithique.
Finalement, seuls deux sites en abri sous roche, Belbaşı et Beldibi ont été
vraiment fouillés (figure 1).
Les premières traces humaines en Anatolie
Si on trouve des traces de l’occupation humaine en Anatolie aux environs de
700 000 avant J-C., c’est seulement vers 70 000 av J-C. qu’on peut réellement
observer les premiers établissement humains.
Dans la région d’Antalya, au sud du plateau anatolien, se trouve la grotte
de Kara’in fouillée à partir de 1946, puis à nouveau en 1974 par
K. Kökten. Huit niveaux appartenant aux trois grandes périodes du Paléolithique
y ont été reconnus et, selon le fouilleur, l’occupation s’étendrait
jusqu’au Néolithique. Si l’on trouve des bifaces acheuléens du Paléolithique
Inférieur, outils qui sont parmi les plus anciens outils connus en
Anatolie, on peut mentionner, pour la phase suivante, la présence de
pointes triangulaires et de grattoirs. Au Paléolithique Supérieur,
l’outillage se diversifie et les lames prennent une plus grande
importance. Toutefois, les conclusions avancées ont été remises en
cause et des fouilles ont repris récemment. Les microlithes posséderaient
des influences techniques du Levant (Hours, Aurenche, Cauvin, Cauvin., Copeland., Sanllaville 1994: 197). La présence de Paléolithique
Moyen et de Paléolithique Supérieur récent semble établie. En outre,
il existe du matériel néolithique consistant en tessons noirs lustrés
et d’autres peints en rouge ou crème.
Des
recherches entreprises depuis 1990 ont permis l’étude de la côte méditerranéenne
de Turquie, qui demeure fort mal connue. Lors de prospections menées
entre le Mont Amanus et le Mont Cassius, deux grottes (Üçagizli
I et II) assez proches du
niveau actuel de la mer ont été redécouvertes. Dans la première
grotte, des niveaux datés des environs de 30 000 av J-C., avaient déjà
été fouillés par Kökten en 1946. Ces niveaux sont apparus dès la
surface et contenaient des vestiges de faune. L’industrie est caractérisée
par un débitage où prédominent les éclats et les lames. Les niveaux
sous-jacents peuvent être attribués au Paléolithique Moyen.
Le Mésolithique
Le Mésolithique est une phase décisive de la préhistoire car elle voit la
sédentarisation d’une partie au moins de la population qui se met alors
à pratiquer un début, rudimentaire encore, d’agriculture. Les
populations paléolithiques occupaient principalement des grottes ou abris
sous roches, même si elles devaient se déplacer parfois pour suivre le
gibier.
Belba şıest un abri
sous roche, sur la côte méditerranéenne, dans la baie d’Antalya. Les
fouilles ont été effectuées par Bostancı, dont nous avons deux
rapports préliminaires. Il a distingué trois niveaux. L’information
repose surtout sur l’industrie lithique en silex qui est lamellaire et
caractérisé par des lamelles fines. L’outillage est composé
essentiellement de microlithes mais aussi de grands outils caractéristiques
du Paléolithique (Balkan-Atlı 1994: 51). Bostancı et
Balkan-Atlı pensent que cet outillage se rapproche de celui de Kebara
C en Palestine (ce serait donc du Kébarien). Toutefois, les données sont
trop approximatives pour pouvoir trancher dans cette hypothèse.
L’abri sous roche de Beldibi se trouve à 5 Km au nord-est de Belbaşı. Les
fouilles furent menées entre 1959 et 1968 par Bostancı. Les quatre
niveaux mésolithiques ont livré des microlithes rappelant ceux du
Natoufien (période Mésolithique) de Palestine et des faucilles sans
doute utilisées pour recueillir les céréales sauvages. Ces niveaux
reposaient sur une couche stérile qui est, elle-même, sur une couche du
Paléolithique Supérieur. Les couches supérieures fournissaient aussi de
la céramique grossière couverte d’une patine rouge. Bostancı
attribuait cet ensemble au Mésolithique mais il est probable, comme le
pensent Mellaart et Balkan-Atlı, que la céramique est postérieure (Mellaart
1965: 78; Balkan-Atlı 1994: 53). Beldibi présente
également un art artistique qui n’existe pas sur d’autres sites. Cet
art se présente sous deux formes: des galets peints à l’ocre
représentant des figures schématiques d’une part, et des représentations
pariétales également en ocre et représentant des figures schématiques
d’autre part. Toutefois, les données du fouilleur sont douteuses et il
est impossible d’attribuer raisonnablement ces représentations au Mésolithique
(figure 2).
D’autres sites, connus par des prospections, sont souvent attribués au Mésolithique:
Dervişhanı (Cohen en 1970), Macunçay (Kansu en 1952), Baradız
(Kansu en 1945)... mais leur attribution à une période précise est fort
douteuse.
Ainsi, les dernières recherches ne permettent pas d’appréhender
l’occupation humaine durant le Paléolithique et le Mésolithique. Les
fouilles et les prospections sont insuffisantes pour comprendre la densité
et l’évolution des groupes humains en Anatolie. Pourtant, dans le
Levant, à la fin du Mésolithique, différentes entités commencent à se
sédentariser et à pratiquer d’autres moyens de subsistance que la
chasse ou la cueillette. Si les deux principaux sites, Beldibi et Belbaşı,
entrent dans la chronologie du Paléolithique du Levant comme le montrent
les affinités du point de vue technologique et typologique avec le Kébarien
et le Natoufien (deux périodes culturelles du Levant), il semble que
certaines techniques de taille et surtout les représentations dans
l’art soient inconnues du Levant. Il est probable que des contacts
existent entre les deux régions mais nous manquons encore de données
pour ces périodes anciennes. Il en est autrement pour l’émergence du Néolithique
en Anatolie.
BIBLIOGRAPHIE
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