Aerial view of Hattusa (Bogazkoy)

Menu:

Sharruma holding King Tudhaliya IV (relief from Yazilikaya)

LA SYRIE DU NORD, ENTRE HITTITES ET ASSYRIENS (1ere partie)

par Philippe Clancier, Paris.

Géographiquement, Hittites et Assyriens n’étaient pas vraiment destinés à se rencontrer et pourtant, diffusion culturelle et impérialisme les ont rapidement mis en contact. La forme que revêtit le mode d’expansion du pouvoir hittite en Syrie influença profondément la geste assyrienne à tel point que la rédaction des annales n’est pas sans révéler une influence anatolienne.

Si l’histoire des relations hittito-assyriennes commença à la période du commerce cappadocien des ressortissants d’Aššur (XIXème, XVIIIème siècles), la puissance de ces derniers est née de l’effondrement de l’empire du Mitanni.

Le début du XIVème siècle avant notre ère vit l’ascension sur le trône de l’Empire hurrite de Tušratta à l’instigation d’un coup d’état dont il se défendait de l’avoir provoqué. Artatama, dont les qualités sont inconnues revendiquait aussi le pouvoir mais dut se réfugier auprès du nouveau roi hittite, Šuppiluliuma (ca.1370). Ce dernier, en habile politicien ne vit pas d’un mauvais œil la possibilité de placer son propre candidat dans un pays qui posait bien des problèmes à son État.

Le Grand Roi hittite affronta ses ennemis au cours de trois guerres syriennes. La première fit du Liban sa frontière. La seconde le conduisit, par un mouvement tournant, de l’Isuwa vers l’Alše pour surgir sous les remparts de la capitale mitannienne, Wassuganni. Tušratta, prudent, se retira et les troupes de Šuppiluliuma pillèrent sa ville. Puis le roi hittite se dirigea vers son allié, Ugarit, prenant les rois de Mukiš, du Nuhasse et de Neya à revers.

Le royaume des Mitanniens restait un État fort mais, petit à petit, glissait vers un statut de puissance secondaire. Les Assyriens, alors sous leur joug depuis que Šaušatar (milieu du XVème siècle) avait brisé leur indépendance en prenant et pillant la ville d’Aššur. Mais l’épuisement des vainqueurs d’hier allait radicalement changer la situation.

La concurrence des Empires

La montée en puissance de l’Assyrie

En 1354, le Hittite se trouva engagé dans une troisième guerre syrienne. Tušratta fut défait devant Murmuriga et Karkemiš ce qui sonna le glas de son règne et de son empire. Il fut assassiné par l’un de ses fils et Artatama, deuxième du nom, depuis si longtemps soutenu par Suppiluliuma put enfin monter sur son trône.

Il trouva une situation bien différente de celle qu’il aurait pu espérer. L’effondrement militaire et politique de son pays avait fait se réveiller les ambitions de ses voisins: Alše et Assyrie. Aššur-uballit Ier fit plus que prendre son autonomie, il imposa à Artatama II puis à son fils Šuttarna III, la dilapidation des richesses de Wassuganni et, en particulier, la restitution des portes d’Aššur autrefois enlevées par Šaušatar.

Šuppiluliuma soutint alors Šattiwaza, le fils de son ancien ennemi, Tušratta, contre lequel il se servait d’Artatama II, le père de l’actuel roi mitannien, Šuttarna. Ce revirement complet d’attitude est difficile à cerner. Il est toutefois possible de penser, en se plaçant dans l’optique des relations hittito-assyriennes, que le Grand Roi était inquiet de l’ascendant d’Aššur-uballit sur l’État hurrite en opposition même à sa propre influence. Šuppiluliuma passa donc un traité avec Šattiwaza (ce qui nous apprend d’ailleurs la conquête d’Aššur par les armées de Šaušatar). Le prétendant au trône du Mitanni partit à la tête d’une armée hittite pour une campagne dont la biographie de Šuppiluliuma rédigée par Mursili II et le prologue du traité susnommé, permettent de suivre les grandes étapes. L’armée en route vers l’est franchit l’Euphrate et enleva les villes d’Irrite, de Harran puis de la capitale Wassuganni pour continuer sa marche en direction du levant. Pourtant, ce ne fut pas un triomphe complet puisque l’expédition semble avoir trouvé son point ultime aux alentours du Habur où, peut-être, les Assyriens, effrayés par les échecs de Šuttarna ont pu et certainement dû intervenir.

Le Mitanni comme proie

De fait, après ces différentes campagnes militaires, l’Etat hurrite était coupé en deux: un Mitanni sous influence hittite et un Hanigalbat sous autorité assyrienne. La mort de Šuppiluliuma dut subvenir dans les années 1342. Il laissait un empire bien plus grand qu’il ne l’avait jamais été. Le pivot de sa défense en Syrie était l’érection en deux royaumes hittites des villes d’Alep (donnée à son fils Telebinu) et Karkemiš (qui revint à Piyassili prenant le nom hurrite de Šarri-kušuh). Mais, comme cela était endémique dans l’empire hittite et le serait dans l’empire assyrien, chaque changement de règne était l’occasion pour les peuples dominés de se révolter. Il semble qu’Aššur-uballit en ait profité pour s’emparer de tous les territoires mitanniens à l’est de l’Euphrate consacrant Karkemiš en point ultime de l’expansion des Hittites vers l’est, même s’ils conservaient une réelle influence sur les débris de l’État hurrite. Par ailleurs, Šattiwaza disparut à cette occasion ce qui ne fait que confirmer la puissance du nouvel empire médio-assyrien. Les souverains d’Aššur se contentèrent, comme cela devait devenir une habitude, de laisser subsister un «Etat-croupion» tout dévoué à leur cause.

Le fils de Šuppiluliuma, Arnuwanda II, ne vécut que deux années (1342-1340) avant de s’éteindre, emporté par un mal qui pourrait bien être la peste rapportée par les armées de son père lors de ses campagnes dans l’Amqu. C’est donc un fils cadet du Grand Roi qui devint souverain à Hattuša: Mursili II. Extrêmement inquiet de la présence assyrienne sur les rives de l’Euphrate il détacha le général Nuwanza à Karkemiš à la tête d’une armée. La manœuvre porta ses fruits l’Assyrien n’osa pas s’aventurer vers l’occident. En l’an 7 de Mursili, les Gasgas, comme de coutume, s’agitèrent au nord de l’empire, en l’an 9 le Nuhasse et le Kinza se révoltèrent... Mursili n’en avait pas encore fini avec les guerres déclenchées à la mort de son frère. L’Egypte n’était d’ailleurs certainement pas étrangère à cet état de fait. Šarri-kušuh, toujours roi de Karkemiš domina la situation mais il dut s’absenter pour assister son frère, le roi, dans les cérémonies de Comana en l’honneur de la déesse Hebat, il ne revint jamais, terrassé par la maladie. Les Assyriens, voyant là une vacance du pouvoir à Karkemiš et, de toute évidence, une remise en cause du système de défense imaginé par Šuppiluliuma, en profitèrent pour lancer une attaque sur la ville. Son importance n’était pas moindre puisqu’elle dominait un passage guéable sur le fleuve et représentait, comme ce serait le cas plus tard, de Til Barsip une vingtaine de kilomètres au sud, une ouverture vers l’ouest. Plusieurs armées hittites marchèrent sur tous les fronts menacés dont une, ayant le roi à sa tête, se rendit à Karkemiš. Les Assyriens refluèrent. Selon ses annales, Mursili avait mis dix ans à vaincre les révoltes dues à la succession de son frère.

Enlil-nârârî et Arik-den-ili, rois d’Assyrie, n’eurent pas la possibilité d’avoir une politique active sur la frontière de l’Euphrate très accaparés qu’ils étaient par le «bourbier» babylonien et leurs autres campagnes. Toutefois, les Hittites ne semblent pas avoir profité de leurs difficultés pour reprendre pied sur la rive gauche de l’Euphrate.

Il faut attendre Adad-nârârî Ier (1305-1274) pour que les Assyriens redeviennent agressifs à l’ouest. Le roi hittite est alors Muwatalli II engagé dans le très durable conflit égyptien qui trouva un terme à la bataille de Qadeš. Par ailleurs, la biographie que fit de lui Hattusili III n’est guère flatteuse en particulier en ce qui concerne le front nord, celui des Gasgas. Le nombre et l’intensité de ces conflits permit sûrement au roi assyrien Adad-nârârî d’intervenir directement dans les affaires de ce qui restait du Mitanni. Accusant Šattuara, roi hurrite, de l’avoir agressé il le battit lui imposant un tribut à vie. Cette fois, toute influence hittite sur l’ancienne puissance mitannienne était définitivement éradiquée.

L’Euphrate comme frontière

L’Euphrate s’imposait maintenant comme frontière définitive et le vieux mythe mésopotamien de la conquête jusqu'à la mer ne devrait pas encore être réalisé par les Assyriens d’Adad-nârârî. La zone de Karkemiš et des anciens territoires mitanniens à l’est de l’Euphrate resta un espace de contacts et de fortes tensions. Il ne s’agit pas, ici, de rechercher les échanges culturels qu’il a favorisé, il suffit simplement de rappeler qu’Adad-nârârî fut le premier monarque à développer une propagande royale qui ne fut pas seulement tournée vers les actes de constructions ou de pratiques religieuses. S’inspirant certainement largement des écrits hittites, il mit au point une forme littéraire et propagandiste pour décrire les événements qui furent les siens: les annales. Ce sont elles qui, jusqu'à la disparition de l’empire néo-assyrien, ou, tout au moins de son dernier grand roi Aššurbanipal, permet de reconstituer l’histoire événementielle de la première moitié du premier millénaire avant notre ère.

Si les temps n’étaient plus, ou pas encore, au conflit armé, les chancelleries hittites et assyriennes avaient bien des difficultés à s’entendre. En effet, la mainmise de l’Assyrie sur les restes de l’Etat mitannien n’inclinait pas Hattuša à l’affabilité. Ainsi, le roi Urhi-Tešub (Mursili III), fils et successeur de Muwatalli II porta gravement atteinte aux relations diplomatiques qu’il entretenait avec les Assyriens puisqu’il fit «subir des avanies» aux ambassadeurs d’Adad-nârârî Ier. Le résultat ne se fit pas attendre. Lorsque Hattusili III remplaça son neveu en 1275, l’Assyrien ne daigna pas lui faire parvenir les cadeaux d’usage marquant l’entrée du personnage dans le rang des grands souverains de ce monde. Dans cet univers où le principe du don et contre don était si important, le soufflet n’était pas mince. «Il est pourtant de règle, lui rappela Hattusili, qu’au moment où les rois montent sur le trône, les (autres rois), ses paires, lui envoient des cadeaux de valeur...». Par ailleurs, Adad-nârârî laissait les habitants de la petite ville de Turina piller les abords de Karkemiš. Le roi hittite dut mettre en garde l’Assyrien contre les agissements de ses gens, qui n’étaient nullement ressortissant du Hanigalbat, et le menacer d’une expédition tout en lui certifiant qu’à l’avenir ses ambassadeurs seraient bien traités.

La tension ne dut pourtant pas tomber d’autant plus que le fils de Šattuara, Wasašatta, se révolta mais fut vaincu par les Assyriens et son pays passa sous leur joug. Hattusili III en vint à rechercher l’alliance des rois cassites de Babylone qui avaient fait montre de pugnacité face à leur dangereux voisin du nord. Depuis les premières expéditions syriennes de Šuppiluliuma, les territoires de l’ancien Mitanni étaient le théâtre de grandes manœuvres militaires où les conflits se gagnaient plus par de victorieux mouvements stratégiques que par des batailles rangées. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles si seule la bataille de Qadeš est aujourd’hui connue dans le détail, les campagnes à grande échelles sont, elles, assez précises à nos yeux. Quoiqu’il en soit, il semble bien que Hattusili ait cherché une alliance de revers en la personne du roi babylonien Kadašman-turgu. Adad-nârârî, apparemment impressionné commença à parler de fraternité avec le roi hittite qui, sans souci de l’étiquette lui rétorqua: «Pourquoi te parlerais-je de fraternité? Sommes-nous nés, toi et moi, de la même mère?».

En 1270 fut signé un traité de paix entre l’Égypte et le Hatti ce qui soulageait ce dernier pays d’un front bien difficile. Une lettre envoyée à la chancellerie babylonienne semble montrer que l’Assyrie avait, sur la frontière de l’Euphrate, perdu de sa superbe. Et, de fait, ils venaient de perdre le Hanigalbat. L’Empire hittite, qui semble y avoir puissamment contribué, se trouvait alors allégé d’un autre secteur à risque. La défaite d’Aššur est probablement à envisager au moment de la monté sur le trône d’un nouveau roi, Salmanazar Ier, en 1273. En effet, il dut faire face, comme souvent, à des tensions sur ses frontières, particulièrement au nord.

Mais, pour les Hittites, cette embellie de leur situation géopolitique ne fut qu’une éclaircie et bientôt, débarrassé de ses autres adversaires, Salmanazar put lancer une puissante offensive se soldant par une victoire totale puisque Hittites et Hurrites laissèrent sur le champ de bataille «14400» prisonniers (ce qui est un chiffre parfaitement canonique qui doit être mis en rapport avec les «28800» prisonniers hittites capturés par Tukultî-Ninurta Ier. De fait, le seul échec important du souverain hittite Hattusili III fut face à l’Assyrie. Toutefois, il fut en mesure de laisser un héritage satisfaisant à son fils, Tudhaliya IV qui monta sur le trône en 1260. Les possessions hittites, celles qu’avait légué Šuppiluliuma, n’étaient pas menacées par les ressortissants d’Aššur si ce n’est par quelques incursions en rien mortelles pour l’Empire.

Lorsque Tukultî-Ninurta Ier monta sur le trône, Tudhaliya lui adressa les vœux d’usage. Le nouveau roi n’avait pas l’intention d’établir des relations sans nuage avec son voisin. Il porta très tôt son dévolu sur la région de Diyarbekir proche du Hatti et, malgré les menaces de Tudhaliya IV traversa la région, soumis l’Alzi (ancien Alše), franchit l’Euphrate pour razzier des zones sous domination hittite. Face aux négations diplomatiques de Tukultî-Ninurta, le Hittite décréta le blocus économique du pays d’Aššur connu par un traité passé entre Šaušgamuwa roi d’Amurru et Tudhaliya: «Puisque le roi d’Assyrie est l’ennemi de mon soleil, qu’il soit aussi ton ennemi. Que tes marchands n’aillent pas en Assyrie et ne tolère pas ses marchands dans ton pays. Qu’ils n’y aillent même pas. Si l’un d’eux vient quand même dans ton pays arrête-le et envoie-le à mon soleil». Cela s’accompagnait d’une entraide militaire. Mais le conflit n’éclata pas, Tukultî-Ninurta était bien trop occupé avec son conflit babylonien qui le conduisit à occuper les principales viles de Sumer et Akkad. Le monarque mourut assassiné en 1207 dans le palais de sa nouvelle capitale, Kâr-Tukultî-Ninurta, en face d’Aššur. Tudhaliya IV, quant à lui, était presque totalement accaparé par les événements d’Arzawa. Une fois de plus, il n’y eu pas de guerre qui dépassa le cadre de l’incursion.

Šuppiluliuma II fut suffisamment puissant pour affronter les Assyriens sur cette frontière qu’était resté le fleuve. Mais les temps étaient alors à d’autres événements et l’Empire hittite disparut, abattu par l’ouest par des ennemis encore mal identifiés.


BIBLIOGRAPHIE

  • Bittel K. (1976), Die Hethiter, München.
  • Donbaz V. (1990), Two Neo-Assyrian Stelae in the Antakya and Kahramanmaraç Museums, Annual Review of the Royal Inscriptions of Mesopotamia Project 8, p. 5 à 25.
  • Fales F.M., POSTGATE J.N. (1995), Imperial Administrative Records. Part. II: Provincial and Military Administration. S.A.A. 11, Helsinki University.
  • Grayson A. K. (1976), Assyrian Royal Inscriptions 2: From Tiglath-pileser I to Ashur-nasir-apli II.
  • GRAYSON A. K. (1982), Assyria: Ashur-dan II to Ashur-nirâri V (934-745 B.C.). C.A.H. 3/1, Cambridge, p. 238 à 281.
  • Harrak A. (1987), Assyrian and Hanigalbat, Hildesheim.
  • Hawkins J. D. (1974), Assyrians and Hittites. Iraq 36, p. 67 à 83.
  • HAWKINS J. D. (1982), The Neo-hittite States in Syria and Anatolia. C.A.H. 3/1, Cambridge, p. 372 à 441.
  • (1994) Les Hittites, civilisation indo-européenne à fleur de roche. Les dossiers de l’archéologie, Paris.
  • Garelli P., Durand J.-M., Gonnet H. (1997), Le Proche-Orient Asiatique, T. 1: des origines aux invasions des peuples de la mer, Paris.
  • Gœtze A. (1933), Die Annalen des Mursilis, MVAG 38.
  • Gurney O. R. (1990), The Hittites, 4th ed., New York.
  • Laroche E. (1953), Suppiluliuma II. R.A. 47, p. 70 à 78.
  • Lemaire A. et Durand J.-M. (1984), Les inscriptions araméennes de Sfiré et l’Assyrie de Shamshi-ilu, Hautes Etudes Orientales 20, Genève-Paris.
  • Parpola S. (1987), The Correspondance of Sargon II. Part. I: Letters from Assyria and the West. S.A.A. 1, Helsinki University.
  • Roaf M. (1991), Atlas de la Mésopotamie et du Proche-Orient Ancien , New York.