Aerial view of Hattusa (Bogazkoy)

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Sharruma holding King Tudhaliya IV (relief from Yazilikaya)

NUZI, UNE VILLE DU MONDE HOURRITE

par Brigitte Lion, Paris.

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, divers musées européens et américains, ainsi que le musée d’Irak, acquirent des tablettes circulant sur le marché des antiquités et réputées provenir de la région de Kirkouk (Irak du nord). Les publications de ces textes attirèrent rapidement l’attention des chercheurs : il s’agissait la plupart du temps de contrats rédigés en médio-babylonien, mais les noms propres des personnes impliquées dans les transactions relevaient bien souvent d’une autre langue. Celle-ci, qualifiée de " mitannienne ", puis de " soubaréenne ", s’avéra être du hourrite.

Les tablettes provenaient en fait de deux sites : la ville de Kirkouk, où un glissement de terrain les avait mises à jour par hasard, et le tell de Yorgan Tepe (ou Yalghan Tepe), à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Kirkouk. Il était impossible de mener des fouilles à Kirkouk, l’une des plus grosses agglomérations du Kurdistan irakien. Aussi est-ce vers Yorgan Tepe que se portèrent les efforts des archéologues.

En 1925, une première mission organisée par l’Iraq Museum et l’American School of Oriental Research de Bagdad, dirigée par E. Chiera, livra plus d’un millier de tablettes. Les quatre campagnes suivantes furent organisées par les musées de Harvard et l’American School of Oriental Research en 1927-28 (directeur : E. Chiera), 1928-29 (directeur : H. Pfeiffer), 1929-30 et 1930-31(directeur : R. F. S. Starr) ; elles permirent de trouver encore environ 5000 tablettes et fragments. Dans les temples, le palais et les maisons, les archéologues dégagèrent aussi de multiples objets : statuettes, armes, céramiques communes ou de luxe. Certains murs portaient des restes de peintures.

L’histoire la plus ancienne du site est connue par un sondage qui a révélé 12 niveaux. Les plus profonds remontent aux époques d’Obeid (Ve millénaire), d’Uruk et Jemdet Nasr (IVe millénaire). Les premiers documents écrits retrouvés datent du milieu du IIIe millénaire : environ deux cents tablettes sont contemporaines de l’époque d’Agade (XXIVe s.) ; la ville s’appelle alors Gasur. Quelques autres textes, plus rares, indiquent une occupation ininterrompue du site jusqu’aux XVe-XIVe s., période pour laquelle les archives deviennent très abondantes. La ville, qui porte alors le nom de Nuzi, est brutalement détruite et abandonnée au XIVe s. Plusieurs tombes y sont creusées à l’époque sassanide.

Les fouilleurs ont concentré leurs efforts sur le niveau du milieu du second millénaire, qui est de ce fait le mieux connu, tant par l’abondance des découvertes archéologiques que par la documentation épigraphique. La publication des tablettes, aujourd’hui en voie d’achèvement, a permis d’avoir une vision assez précise de la situation de cette petite ville vers le XIVe s.

Nuzi était alors une ville provinciale ; elle faisait partie du royaume d’Arrapha, dont la capitale, l’antique ville d’Arrapha, occupait l’emplacement de l’actuelle Kirkouk. Le souverain d’Arrapha était lui-même soumis au roi du Mitanni. L’Etat du Mitanni, qui couvrait toute la Haute-Mésopotamie au XVe s. et au début du XIVe s., a succombé aux attaques répétées des souverains hittites puis assyriens. Or ses capitales n’ont pas été à ce jour identifiées et très peu de sites relevant de ce royaume ont pu être fouillés. Dans ce contexte, les découvertes de Nuzi revêtent un intérêt particulier, puisqu’elles viennent combler une information très lacunaire.

Le centre du tell est occupé par un vaste palais. Nuzi n’étant pas le siège d’une dynastie, les souverains mentionnés à plusieurs reprises dans les tablettes qui y ont été exhumées sont ceux d’Arrapha. Les textes du palais fournissent de multiples renseignements sur la famille royale et la population gravitant autour d’elle, depuis les esclaves jusqu’aux plus hauts fonctionnaires. Au nord du palais se trouvait un temple double, probablement consacré à Istar et à Tessup, le dieu de l’orage hourrite.

Les autres bâtiments fouillés sont les demeures de particuliers. Elles se trouvent dans les quartiers entourant le palais sur le tell central. Mais il existe aussi de grandes demeures sur deux petites éminences situées au nord du tell. L’une d’elles abritait les archives du prince Silwa-Tessup, qui comprenaient plus de 700 textes. Dans une autre, les contrats du riche propriétaire terrien Tehip-Tilla constituent l’un des lots d’archives privées les plus abondants de tous ceux retrouvés au Proche-Orient : plus d’un millier de tablettes enregistraient acquisitions et échanges de terrains, achats d’esclaves, procès... Les divers lots du tell central sont d’une taille plus réduite ; ils permettent néanmoins de reconstituer les arbres généalogiques des familles de notables et d’étudier leurs stratégies financières.

Les contrats fournissent une multitude de renseignements sur la société de Nuzi et ses coutumes. Mariages et adoptions sont fort bien représentés, de même que les transactions portant sur les biens immeubles (champs, vergers, maisons) ou meubles (esclaves notamment). Une originalité de Nuzi est que les ventes immobilières ne sont jamais caractérisées comme telles, mais font l’objet de contrats d’adoption fictifs (tuppi marûti) : une personne en adopte une autre et lui lègue un bien foncier ; en contrepartie, l’adopté verse à l’adoptant un " présent ", qui correspond au prix du terrain. Ainsi, Tehip-Tilla, soucieux de constituer de grands domaines, se fait adopter plus d’une centaine de fois! Si les propriétaires fonciers et les marchands semblent mener des affaires florissantes, la vie est en revanche particulièrement rude pour les plus pauvres : le taux habituel des prêts est de 50%, les débiteurs insolvables en sont réduits à aliéner leurs biens à leur créancier, voire à placer les membres de leur famille ou à se placer eux-mêmes au service du prêteur, pour éteindre leur dette à force de travail... certains de ces contrats, appelés titennûtu, engagent ainsi des individus pour plusieurs années, voire pour plusieurs décennies.

Ces documents ne portent en général aucune date et les rares événements auxquels ils font parfois allusion ne peuvent être situés avec précision dans le temps. De ce fait, la date exacte des archives de Nuzi fait encore l’objet de débats. Il est acquis cependant que la plupart des documents datent du XIVe s. av. J.-C. Les archives permettent souvent de reconstruire quatre ou cinq générations d’une même famille, les documents se faisant plus nombreux pour les dernières générations, celles qui devaient être actives au moment de la destruction du site.

La langue utilisée dans les tablettes de Nuzi est un médio-babylonien souvent assez fautif. Les scribes méritent cependant toute notre indulgence, car ils ne notaient probablement pas là leur langue maternelle. La plupart des noms propres des habitants de Nuzi sont en effet des noms hourrites et un certain nombre de tournures qui paraissent incorrectes en babylonien s’expliquent par la syntaxe hourrite. Cette langue a fait l’objet d’études multiples ces dernières années et sa compréhension a progressé de façon décisive grâce aux découvertes des tablettes bilingues hourro-hittites à Bogazkoy. Grâce à ces acquis, l’onomastique de Nuzi a pu faire l’objet de nouvelles approches. Les études sur Nuzi et les études hourrites continuent à progresser de concert.


BIBLIOGRAPHIE

  • Starr R.F.S (1939-37), Nuzi, volume 1, Text, et Nuzi, volume 2, Plates and Plans, Cambridge.
  • OWEN D.I., WILHELM G. (19--), Studies on the Civilisation and Culture of Nuzi and the Hurrians (= SCCNH).
  • MAIDMAN M.P.(1995), " Nuzi : Portrait of an Ancient Mesopotamian Provincial Town ", dans J. M. SASSON (éd.), Civilizations of the Ancient Near East, New York, vol. 2, p. 931-947.