association des amis de la civilisation hittite
En 856 avant notre ère tombait Til Barsip, prise d'assaut par les armées assyriennes de Salmanazar III. La ville, derrière son roi Ahuni, roi du Bît Adini, résistait aux envahisseurs depuis de nombreuses années.
Til Barsip et Ahuni, deux noms aux racines sémitiques et pourtant, ils cachent une longue tradition hittite. Le problème qui longtemps se posa aux chercheurs était de savoir quelle était la succession des cultures (anatolienne/araméenne) sur le site et fixer un schéma chronologique permettant d'avoir une idée de l'histoire de la ville au moment de l'arrivée d'Assurnasirpal II et de Salmanazar III.
Til Barsip, l’actuel village de Tell Ahmar (situé en Syrie à l'est de la boucle de l'Euphrate), était une célèbre ville néo-hittite à environ cent kilomètres au sud de Karkemis. De par sa position géographique, l'agglomération revêtait une importance stratégique toute particulière car elle contrôlait un passage à guet sur le fleuve.
La politique assyrienne, particulièrement à partir d'Assurnasirpal II (883-859), a été de s'étendre le plus possible autour du noyau de la contrée d'Assur pour contrecarrer la pression des populations alentour et d’acquérir un rôle économique de premier plan dans la région. Inévitablement, les Assyriens devaient se retrouver sur les bords de l'Euphrate, face à un guet capable de favoriser un passage vers la Syrie et la côte levantine : Til Barsip par exemple. Pourtant, il n'existe aucune référence à cette ville avant celles que l'on rencontre dans les annales assyriennes, tout au moins sous ce nom.
Le site de Tell Ahmar a donné un certain nombre de stèles en écriture hiéroglyphique louvite(1). Dès le début de ce siècle, grâce à F. Thureau-Dangin, on était capable de dire que la cité fut, un jour, occupée par des éléments indo-européens. Ayant découvert deux lions inscrits de la période assyrienne(2), Thureau-Dangin fut à même d'affirmer qu'il se trouvait sur l'antique ville de Til Barsip, capitale régionale de l’empire d'Assur. Ainsi on venait de découvrir une ville araméenne (Til Barsip)(3) qui fut conquise par les Assyriens (renommée Kâr-Salmanasar(4)) et comportant des traces d'une dynastie hittite (ce qui n'avait jamais été dit dans les annales assyriennes). Aujourd'hui, à la lumière des recherches récentes, il est possible de suivre l'histoire de la ville à la fin du second et au premier millénaire avant notre ère.
Le Grand Empire hittite s'est fondé sur les ruines du Mittani. Pour asseoir son pouvoir, Suppiluliuma Ire, instigateur de la destruction de son voisin, installa des roitelets de sa dynastie sur les trônes de cités-Etats dont la situation géographique en faisait de très forts points d'appui. Deux agglomérations principales suivirent ce schéma : Alep et Karkemis. Dans cette dernière, il plaça son fils Piyassili. Or, cette ville ne fut pas la seule à entrer en sa possession, un " nuage " d'agglomérations, villes secondaires ou villages, devinrent ses dépendances.
Dans le traité entre Suppiliuluma et Saitiwasa du Mittani, deux séries de villes sont attribuées par le roi hittite à son fils(5). Ces agglomérations du pays d'Astata étaient sous domination (théorique) de l’état hurrite et furent occupées par Piyassili lors de sa campagne Irrite(6). Cette partie du traité avalisait donc une situation établie de fait. Le premier groupe se compose, pour ce que l'on peut en lire, des villes de Murmurik, Sipri, Mazuwati et Surun.
Or, en 1983, J. D. Hawkins publia la stèle de Tell Ahmar IV :
1. Je suis Hamiyatas, le ... roi, le masuwaréen [...]
L’inscription, très endommagée comporte onze lignes où il est question de la construction de la ville de Haruha. Quoiqu’il en soit, Hamiyatas fut clairement identifié comme un roi de Til Barsip(7). Dans une seconde stèle, Tell Ahmar II, se retrouve la même référence géographique :
1. Je suis Hamiyatas, <roi> de Masuwa[ri]... de... roi du pays, le serviteur de Tarhunzas.
J. D. Hawkins établit donc que la ville de Mazuwati, citée dans le traité entre Suppiliuluma et Sattiwasa, n’était autre que cette Masuwari, citée sur les stèles découvertes à Tell Ahmar, capitale des rois de la cité qui, en araméen, portait le nom de Til Barsip. L’histoire hittite de la ville commençait à apparaître au XIIème siècle.
Mazuwati fut donc très tôt en contact avec la civilisation hittite. La dynastie de Suppiliuluma apporta avec elle la culture anatolienne et en imprégna l’iconographie locale.
Lorsque les sources écrites disparaissent à la fin du XIIème siècle, une dynastie hittite règne sur Mazuwati depuis Karkemis, pourtant, quand les rois néo-hittites de cette dernière reprennent leurs activités dédicatoires au début du Xème siècle, Masuwari ne fait plus partie de leurs possessions. Quelqu’un ait été la forme, la sécession de la ville ne chassa pas la tradition anatolienne et la dynastie en place, de par son onomastique et sa tradition artistique, se révéla clairement néo-hittite.
Plusieurs souverains sont connus grâce aux inscriptions précédemment citées. Rien ne prouve qu'il n’y ait eu qu’eux bien que ce soient toujours les mêmes noms que l'on retrouve :
Le fils d'Ariyahinas est le dernier à être documenté. Le terme de Bît Adini, le royaume d'Ahuni, apparaît, pour la première fois, sous le règne du roi assyrien Adad-nirâri II (911-891). Or, le royaume de Masuwari ne peut se confondre avec le Bît Adini, Etat araméen. Ainsi peut-on considérer la disparition de la dynastie néo-hittite au tournant du Xème siècle.
Hapatilas, premier roi à être documenté(8) semble être un symbole fort pour les souverains de Masuwari. Il est possible de penser que c'est lui qui se sépara de la tutelle de Karkemis au Xème siècle. Cette indication chronologique peut être envisagée si l'on considère que le fils d'Ariyahinas fut le dernier des rois néo-hittites.
Il est à noter que la famille de Hamiyatas est présentée dans la stèle de Tell Ahmar I comme usurpatrice de celle de Hapatilas.
Si la culture royale était nettement néo-hittite, que penser de la population ? En fait, peu de choses car, de par la teneur des écrits, rien n'est dit sur elle. L’archéologie est aussi incompétente en la matière car il n’existe aucun changement dans les couches d’occupation au moment du passage théorique de la dynastie néo-hittite à celle araméenne que l'on a proposé au IXème siècle. Peut-être existe-t-il une solution dans les écrits de Tiglath-phalasar Ier (1114-1076) ? Ce roi assyrien franchit vingt-huit fois l'Euphrate au sud de la ville de Masuwari, il annexa les villes de Mutkînu et Pitru(9). Ses annales établissent une nette différence entre le pays de Hatti, situé au nord de la boucle de l'Euphrate autour de Karkemis et le pays d'Aram englobant la partie sud. La ville de Masuwari, de culture royale néo-hittite était peut-être, dès cette époque, de peuplement araméen ce qui expliquerait l'amalgame opéré par les Assyriens.
La dynastie araméenne semble être de très courte durée puisque seul le roi Ahuni (" notre frère " en araméen) est attesté. Depuis Assur-rabi II (1010-970) le roi assyrien contemporain de Hapatilas(10) s’était créé, dans le sud de la boucle de l’Euphrate, un État araméen fort. Masuwari tomba probablement entre les mains du seul de ses monarques connu : Ahuni. Il en fit sa capitale certainement en raison de sa place hautement stratégique et la renomma Til Barsip. Quand ces événements se passèrent-ils ? La première attestation du nom de Til Barsip date de Salmanazar III(11) mais il est plus probable que la ville fut araméisée dès la fin du règne d'Assur-nasirpal II. Pourtant, lors de ses VIIIe et IXe campagnes où il entra directement en contact avec le Bît Adini, jamais il ne parle de Til Barsip comme capitale ou même simple ville du royaume. Il est donc envisageable que Masuwari ne tomba qu’à la fin de son règne ce qui expliquerait que l'on ait des attestations de Til Barsip tôt dans le règne de Salmanazar III son successeur. Quoiqu’il en soit, dès Assurnasirpal II, la limite entre les zones Hatti/Aram remonte vers le nord, le Hatti devenant plus spécifiquement la région de Karkemis.
Les difficultés rencontrées au sujet du peuplement de cette zone révèlent un fait : Til Barsip était à la limite entre deux influences, l'une araméenne au sud, l'autre néo-hittite au nord. Comme tous les secteurs de contact, il faut certainement envisager une culture mixte. Les Assyriens eurent en face d'eux les armées araméennes d'Ahuni. La conquête s'exécuta en deux temps. Tout d'abord il y eut les premiers chocs " de diversion " sous Assurnasirpal II où les deux adversaires ne s'affrontèrent qu'indirectement, exception faite des VIIIe et IXe campagnes. Puis l'annexion proprement dite par Salmanazar III après une série de campagnes entre 858 et 855.
Une fois son indépendance perdue, la ville prit le nom de Kâr-Salmanasar et fut capitale provinciale, résidence des turtânû(12).
(1) Stèles de Tell Ahmar I, II, III et IV ainsi que la stèle d'Alep II.
(2) Lions célébrant la gloire du turtân Samsi-ilu, gouverneur de la région au début du VIIIe siècle.
(3) Ainsi désignée dans les annales assyriennes.
(4) La ville fut renommée en 556 en " Forteresse de Salmanazar ".
(5) Lignes 14'-16'.
(6) Voir Hawkins, 1983.
(7) Stèle de Tell Ahmar I ligne 13-16.
(8) Documenté par la stèle de Tell Ahmar I, écrite du temps d'Ariyahinas.
(9) Voir Ikeda, 1984, p. 29.
(10) Les annales d'Assur-rabi II offrent une des seules sources pour cette période et cette région.
(11) Voir Yamada, 1995, p. 24.
(12) Le turtân le plus connu pour cette période est Samsi-ilu qui conserva, depuis Kâr-Salmanazar, la prépondérance assyrienne dans la région et ce malgré les difficultés dynastiques de son pays.