Aerial view of Hattusa (Bogazkoy)

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Sharruma holding King Tudhaliya IV (relief from Yazilikaya)

L'ARCHITECTURE MILITAIRE A HATTUŠA AU NOUVEL EMPIRE

par Vincent Dargery, Paris.

Les grands empires du Proche et Moyen Orient ancien ont en commun de s’être forgés sur des bases militaires ; ces états centralisateurs, pour exister, se devaient donc d’assurer une parfaite défense de leur capitale. Celle de l’empire hittite, Hattuša, malgré son relatif éloignement par rapport aux grandes zones de conflits, se munit aussi de tout un système de protections pour défier les éventuels agresseurs.

Ces défenses montrent par bien des aspects que les Hittites maîtrisaient parfaitement l’art de l’architecture militaire. Il faut dire que la fortification a, en Anatolie, un antécédent très ancien : selon certains, on retrouve déjà sur le site néolithique de Catal Höyük, vers 6000 avant J.-C., des indices d’un agencement de la ville à but défensif. Les Hittites ont quant à eux poussé jusqu’à la perfection l’architecture militaire, et leur capitale est certainement le site le plus propice pour l’étudier.


Plan 1 – Plan de la ville d’Hattuša au XIIIe siècle (état en 1976).

La totalité des ruines que nous pouvons voir actuellement près de Boğazköy montrent la ville telle qu’elle était à la fin du XIIIe siècle, c’est-à-dire juste avant sa destruction. Elle est le produit d’une longue évolution : déjà occupée vers 2000, elle connaît son véritable développement quand Hattusili en fit la capitale de son petit royaume vers 1600. Mais son aspect le plus monumental lui fut donné par Suppiluliuma en 1400 : la ville se divise alors en trois secteurs : la citadelle, la ville basse (où l’on a décelé les plus anciennes traces d’occupation) et la nouvelle ville haute (plan 1). La presque totalité de ses constructions datent des XIVe et XIIIe siècles.

LES REMPARTS

Le site de Hattuša, en pleine Anatolie centrale, est extrêmement accidenté, et les Hittites ne se sont pas privés d’exploiter au maximum ce relief si particulier. Les six kilomètres de la muraille utilisent au mieux les pitons rocheux et les profonds ravins pour que le tracé soit en lui-même un barrage.

Lorsque les obstacles naturels font défaut (en particulier tout le long de la boucle sud), les Hittites élèvent alors une gigantesque levée de terre qui peut avoir une largeur de soixante quatre mètres à la base et qui s’amincit avec la hauteur, sept à huit mètres plus haut. Ce glacis est précédé l’un long fossé et recouvert d’un dallage. Son efficacité est très grande : d’une part il est en lui-même difficile à franchir pour les assaillants, d’autre part, lors de son ascension, ils s’exposent aux attaques des défenseurs (fig. 1).


Fig. 1 – Coupe de la porte des Sphinx.

Mais là n’est pas le seul procédé de ce type. En effet, sur cet imposant talus est construite la muraille elle-même. Elle est double : l’avant-mur est épais d’un mètre et séparé par un espace de sept mètres cinquante du mur principal (fig. 2). De celui-ci, les défenseurs peuvent donc riposter de manière très sécurisante et efficace sur leurs adversaires trop occupés à franchir ce mur-tablier.


Fig. 2 – Restitution de la porte sud, dite des Sphinx.

Pour ce faire, ils se postent sur la muraille principale. Celle-ci présente une physionomie différente ; son assise inférieure est composée de deux parements de pierres irrégulières parfaitement appareillées (appareil " cyclopéen ") reliés entre eux par des murs transversaux. Cela forme des sortes de cases qui sont ensuite bouchées par un blocage de gravats. Cette technique de construction, appelée " à caissons ", donne à la muraille énormément de solidité puisque ses premières assises sont pleines, et empêche tout démantèlement ou destruction par des machines de siège. L’assise inférieure s’élève sur neuf mètres environ ; au-dessus est construite une superstructure de briques crues disposées dans une solide armature de poutres en bois. Il ne reste presque rien de cet étage, mais pour s’en faire une idée, on dispose d’un fragment de vase qui reproduit cette architecture (fig. 3) : on peut voir qu’elle est vraisemblablement surmontée de créneaux et que, du moins au niveau des tours, il y a des meurtrières.


Fig. 3 – Fragment de céramique représentant une tour et un rempart.

Non seulement cette imposante muraille entoure la ville, mais en plus, d’autres remparts parcourent l’intérieur de la cité et isolent la citadelle, la ville basse ou d’autres petits secteurs, de sorte que la progression des assaillants est constamment freinée au sein même de l’agglomération.

LES TOURS ET LES FORTINS

Les murailles de Hattuša ne sont pas nues : tous les trente mètres environ s’élèvent des tours plus hautes que le mur mais de même construction. Elles sont intégrées à celui-ci pour le rempart principal et mises en saillie pour l’avant-mur. Comble du perfectionnement, on remarque que les bastions de la muraille principale et ceux de l’avant-mur ne sont pas face à face, mais intercalés pour assurer ainsi une couverture maximale de la muraille.

Mais les remparts ne sont pas les seuls moyens de défense intra-muros : en plusieurs endroits névralgiques de la ville, des bastions sont construits sur des pitons rocheux (Nisantepe, Sarikale et Yenicekale). Ils ont le même type de construction que les tours et sont donc, par cette assise inférieure à caissons, pratiquement indémontables (fig. 4 et 5). Ainsi, même à l’intérieur du grand secteur de la ville haute, la protection et le ralentissement de l’avancée ennemie sont assurées. Le point le plus remarquable de ces fortins est l’endroit où ils sont construits : sur un promontoire rocheux accidenté, difficile d’accès pour des assaillants. Il démontre le génie des Hittites dans le domaine de l’architecture militaire : tout l’agencement urbain de Hattuša est pensé pour la défense de la ville, et le moindre accident du terrain, aussi difficile à aménager soit-il, est exploité dans ce but.


Fig. 4 & 5 – Restitution du fortin de Yenicekale.

LES PORTES

Comme toute la ville est rendue hermétique par le réseau de remparts, les portes percées dans ceux-ci jouent un rôle très important. Et de fait, elles ont été pensées avec le plus grand soin.

Les trois portes principales du sud sont relativement bien conservées. On distingue un plan très général : sur la muraille intérieure sont élevées deux hautes tours. Elles sont construites comme les murs en caissons remplis de gravats, et pour la partie supérieure en briques. Elles sont reliées entre elles par deux murs transversaux. C’est dans ces murs que sont percés les passages : le montant des portes est un monolithe gigantesque qui est souvent sculpté (fig. 6) (les figurations des différentes portes leur ont donné leur dénomination actuelle). De solides battants en bronze ferment cet espace qui devient ainsi un vestibule à ciel ouvert, passage obligé pour quiconque veut entrer dans la ville, de telle sorte que les assaillants se trouvent piégés dans cette chambre à la merci de la riposte des défenseurs situés dans les tours. Il est à noter, dans le même esprit de retarder l’adversaire pour le piéger, que les portes ne s’ouvraient que dans le sens le plus gênant de la marche : vers celui qui veut entrer.


Fig. 6 – Linteau sculpté de la porte ouest, dite des Lions.

Pour accéder à ces portes, situées au plus haut de la levée de terre, les aménagements dépendent de leur fonction ; ainsi la porte est, dite du Roi, est précédée d’une grande rampe pavée (fig. 7) elle-même protégée par des murs de renfort. Bien évidemment, cette rampe est parallèle à l’enceinte pour que celui qui l’emprunte présente son flanc au défenseur. La porte sud, dite des Sphinx, est réservée à l’usage des piétons parce qu’elle est desservie par deux escaliers assez éloignés l’un de l’autre. Remarquons qu’ils n’aboutissent pas directement devant la porte mais entre les deux murs de l’enceinte (fig. 2), toujours dans le même but de piéger l’assaillant.


Fig. 7 – Plan de la porte est, dite du Roi.

Mais dans ce domaine, l’innovation la plus marquante des Hittites est l’invention de la poterne, comme celle située sous la porte des Sphinx. C’est un long tunnel souterrain de soixante et onze mètres construit juste sous la porte, au niveau du sol naturel (fig. 1). Elle fait communiquer directement l’intérieur de la ville avec l’extérieur et est construite avec des pierres grossières disposées en encorbellement. Sa sortie, camouflée, est constituée de trois blocs monolithes et s’ouvre sur l’endroit où opère l’ennemi ; cela permet donc de le prendre très efficacement à revers. Ce nouveau système est si ingénieux qu’il eut beaucoup d’écho dans de nombreuses autres civilisations. Même à cette époque, il a été diffusé dans les territoires sous l’influence des Hittites - on le retrouve notamment à Ugarit.

CONCLUSION

La protection des cités, en ces temps de tensions entre les grands empires du Proche et Moyen Orient, était un élément indispensable à l'épanouissement d’un état, en particulier celui des Hittites qui était essentiellement fondé sur la puissance militaire. L’architecture défensive a atteint un tel niveau de perfection sous ce peuple qu’elle a grandement influencé ses successeurs, notamment les Assyriens qui en reprendront beaucoup de traits dans leurs différentes capitales pendant la première moitié du premier millénaire avant J.C. C’est dans leur capitale Hattuša que cet art est le plus abouti. La ville ne devait être faite qu’au regard d’un seul but : ne pas être prise. Mais bien que les procédés hittites fussent novateurs et efficaces, la capitale connut bien des agressions au cours de son histoire mouvementée.


BIBLIOGRAPHIE

  • BITTEL K. (1976), Die Hethiter, München.
  • MACQUEEN J.G. (1986), The Hittites and their contemporaries in Asia Minor, 2e ed., London.