Aerial view of Hattusa (Bogazkoy)

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Sharruma holding King Tudhaliya IV (relief from Yazilikaya)

L'EAU DANS LA RELIGION HITTITE

par Michel MAZOYER, Paris.

Ce sont essentiellement les tablettes découvertes à Boğazköy (Hattuša), qui nous permettent de reconstituer la religion des Hittites, le peuple indo-européen le plus ancien connu à ce jour par ses écrits. Les autres découvertes archéologiques constituent également un élément précieux pour ce travail.

La religion des Hittites est bâtie sur la réalité des villages de 1'Anatolie, dont les deux éléments essentiels sont la source (ou la rivière) et la montagne (parfois une simple colline), dont ils peuvent emprunter le nom (Laroche, 1980: 7-10). La place réservée dans ce panthéon à la source et à la montagne est à l'image de la vie du paysan primitif et du berger (Beckman, 1989: 99). Les sources et les montagnes, toutes deux conçues comme à l'origine de l'eau nourricière, jouent un rôle important dans la culture des grains et dans le développement des troupeaux. Par ailleurs, c'est des rivières et des montagnes, que sont issus des matériaux propres à la construction.

Les descriptions d'idoles représentent les sources comme des statues de femmes assises (Brandenstein, 1943: 16). Les sources sont donc considérées de sexe féminin, contrairement aux montagnes de sexe masculin.

La source et la montagne sont souvent divinisées. Chaque ville d'une certaine importance possède un panthéon composé d'un dieu principal, de sa parèdre, de la montagne, de sa rivière ou de sa source locale. Une prière du règne de Muwatalli (XVème siècle) énumère la liste des panthéons locaux de l'empire hittite (Lebrun, 1980: 256-293).

La montagne est liée au dieu de l'Orage qui lui sert de demeure, la source à sa parèdre (Laroche, 1958: 47).

Au-dessus des panthéons régionaux, on trouve le panthéon d'état bien connu grâce aux traités internationaux. Les dieux de ce panthéon sont pris à témoin des serments réciproques. La liste contient environ quatre-vingts divinités. Vers la fin de la liste, on évoque les éléments naturels divinisés parmi lesquels les montagnes et les rivières (Laroche, 1980; 9-10).

La relation avec les eaux de certaines grandes divinités est manifeste : le dieu de l'Orage hittite, par exemple, est aussi appelé le dieu de l'Orage du ciel. Il est le dieu du tonnerre et de la foudre. Il maîtrise les eaux qui viennent du ciel et les met en relation avec les eaux souterraines (Deighton, 1982).

Son fils Télépinu, dieu fondateur du royaume hittite, possède aussi le pouvoir de son père sur les eaux du ciel. Quand, irrité contre les hommes, il abandonne son temple, la sécheresse destructrice s'installe dans le pays; quand il revient apaisé, le retour de la vie est marqué par 1'orage régénérateur que déclenche Télépinu: "Il lance des éclairs, frappe la terre noire." Par ailleurs, il acquiert la maîtrise des eaux courantes grâce à son mariage avec Hatépinu, la fille de l'Océan, qui symbolise les eaux (Mazoyer, 1994: chapitres L4 et C).

La parèdre du dieu de l'Orage, la déesse solaire d'Arinna se rattache à la ville sanctuaire d'Arinna, écrit souvent par le sumérogramme de la source PU, ce qui semble traduire un lien entre cette déesse et les eaux qui viennent du sous-sol (Macqueen, 1959: 177).

La déesse mère Hannahanna (MAH) est aussi en relation avec les eaux puisqu'elle est mentionnée à plusieurs reprises comme étant la "déesse Mère de la rive" (Beckman, 1983: 246).

La présence de l'eau à proximité de nombreux monuments religieux a été souvent remarquée. Dans la cas Eflâtun Pinar, les liens entre le monument et l'eau semblent particulièrement évidents (Macqueen, loc. cit.: 178).

Comme l'écrit E. Laroche, "Eflâtun Pinar est un sanctuaire érigé en l'honneur de la source qu'on y adorait" (Laroche, 1958: 46). L'inscription du Yalburt était placée dans un édifice consacré à une source (Hawkins, 1995: 66).

Dans de nombreux sites, l'existence de cupules destinées à recevoir l'eau de pluie semble traduire l'existence d'un culte de l'eau à l'époque hittite (Gonnet, 1993: 215-224).

Les voies d'eau divinisées permettent d'accéder au monde souterrain où habitaient de nombreuses divinités infernales. On accédait à ces voies d'eau par un orifice dont un exemple a été récemment mis au jour dans le secteur sud de la capitale hittite. Cet orifice qui est rectangulaire se trouve à l'extrémité d'une chambre dont les parois sont recouvertes d'une grande inscription hiéroglyphique (Hawkins, op. cit.: 45).

Les textes confirment l'importance de l'eau dans les cultes et dans les rituels magiques. Les cultes hittites se déroulent non seulement dans les temples mais aussi à la campagne. Près des cours d'eau s'effectuent différentes cérémonies parmi lesquelles la cérémonie d'ablution. Par exemple, au cours de la fête d'automne de Télépinu, on emporte le dieu hors de son temple sur un char ainsi que ses objets cultuels. Arrivés à la rivière, on fait descendre le dieu. On procède à un ensemble d'opérations, puis on ramène le dieu dans son temple (Mazoyer, op. cit.: chapitre II A). Certains rituels magiques destinés à chasser l'impureté chez un individu se déroulent auprès de la rivière, dont les eaux ont un pouvoir de purification. Ainsi dans le rituel de Tannuwiya destiné notamment à traiter une femme victime de fausse couche ou un homme atteint d'impuissance, La magicienne exécute le "rituel de la rivière", composé de nombreuses manipulations (Goetze, 1938).

Par ailleurs, dans les rituels magiques on a recourt souvent à des formules analogiques mentionnant des phénomènes naturels relatifs à l'eau courante. Parmi différentes formules on retiendra celle-ci se trouvant dans le Mythe de Télépinu : "de même que l'eau dans le réseau d'irrigation ne remonte pas, que de Télépinu la colère, la fureur, la rancoeur, ne revienne pas non plus!" (KUB XVII 10, III 25-27).


BIBLIOGRAPHIE

  • BECKMAN G. (1983), Hittite Birth Rituals, Studien zu den Bogazkoy-Texten 29, Wiesbaden.
  • BECKMAN G. (1989), "The Religion of the Hittites", Biblical Archaeologist, 52/2-3, Baltimore, pp. 98-108.
  • BRANDESTEIN, von C.-G. (1943), Hethitische Gotter nach Bildbeschreibungen in Keilschriftexten, Mitteilungen Vorderasiatisch-Aegyptischen Gesellschaft 46/2, Berlin- Leipzig.
  • DEIGHTON H.J. (1982), The "Weather God" in Hittite Anatolia, Oxford.
  • GOETZE A. (1938), The Hittite Ritual of Tunnawi, American Oriental Series 14, New Haven.
  • GONNET H. (1993), "Système de cupules, de vasques et de rigoles rupestres dans la région de Beyköy en Phrygie", Aspects of Art and Iconography : Anatolia and its Neighbours, Studies in Honor of Nimet Özgüç, Ankara, pp. 215-224.
  • HAWKINS J.D. (1995), The Hieroglyphic Inscription of the Sacred Pool Complex at Hattusa (SUDBURG), Studien zu den Boğazköy-Texten, Wiesbaden.
  • LAROCHE E. (1958), "Eflâtun Pinar", Revue annuelle de l'institut d'Archéologie de l'Université d'Ankara III, Ankara, pp. 43-47.
  • LAROCHE E. (1980), Asianique (Religion), Définitions et problématique in Dictionnaire de Mythologie, Paris, pp. 1-25.
  • LEBRUN R. (1980), Hymnes et Prières hittites, Homo Religiosus 4, Louvain-la-Neuve.
  • MACQUEEN J.G. (1959), "Hattian Mythology and Hittite Monarchy", Anatolian Studies 9, London, pp. 171-188.
  • MAZOYER M. (1994), Télébinu dieu agraire et fondateur hittite, Thèse de doctorat de l'EPHE (IVème section), Paris.